Le Niger importe massivement pour répondre aux besoins alimentaires de sa population. Cela contribue aux déséquilibres de la balance commerciale et renforce l’inflation. Comment, selon vous, réduire cette dépendance vis-à-vis de l’extérieur et retrouver une partie de notre souveraineté ?
Pour réduire cette dépendance et retrouver une certaine souveraineté en termes de produits alimentaires et de biens de consommation, je crois qu’il faut un mix de mesures à court, moyen et long terme. À court terme, il faut encourager la production locale en promouvant l’agriculture et l’industrie nationale ; favoriser les investissements dans ces secteurs en offrant des incitations fiscales ou en facilitant l’accès aux financements ; mettre en place des politiques de substitution des importations en privilégiant la consommation des produits locaux. À moyen terme, il y a lieu de promouvoir le capital humain en privilégiant la formation pour les métiers du présent et de l’avenir davantage que l’éducation pour le savoir brut ; de renforcer les capacités de production nationale en investissant dans la recherche et le développement, ainsi que dans la formation des travailleurs ; de stimuler l’entrepreneuriat en soutenant les petites et moyennes entreprises locales ; de faire des systèmes bancaire, douanier et fiscal des alliés de l’économie nationale ; d’encourager l’innovation technologique pour rendre la production nationale plus compétitive. À long terme, il faut tirer avantage de l’exploitation minière et pétrolière pour diversifier l’économie en encourageant l’émergence de nouveaux secteurs d’activité ; renforcer les partenariats régionaux et internationaux pour développer des échanges commerciaux équilibrés ; investir dans l’infrastructure et les technologies nécessaires à la production locale. Ces mesures nécessitent bien évidemment une volonté politique forte, une planification stratégique adéquate et une collaboration entre les différents acteurs (gouvernement, entreprises, organisations politiques, société civile). La transition vers une plus grande autonomie économique peut prendre du temps, mais elle est essentielle pour assurer la durabilité et la sécurité du pays.
Selon vous, quel bilan pouvait-on tirer des 100 jours d’exercice du pouvoir par le CNSP ?
Les premiers 100 jours d’un nouveau gouvernement sont souvent considérés comme une période critique où l’opinion et les médias évaluent les réalisations et les performances des politiques publiques mises en place. Pendant cette période, il y a toujours un débat entre 2 niveaux de réalité, entre ceux qui sont en faveur d’un jugement hâtif et ceux qui adoptent une attitude prudente envers les premières tendances des politiques publiques.
Ceux qui prônent un jugement hâtif soutiennent que les premiers 100 jours sont une période cruciale pour évaluer la capacité du gouvernement à tenir ses promesses électorales ou d’origine et à mettre en place des politiques efficaces. Ils estiment que les citoyens ont le droit de connaître rapidement si le gouvernement est en train de répondre à leurs attentes et s’il est capable de livrer les résultats promis. Ils peuvent donc être critiques envers les premières actions du gouvernement, recherchant des signes de succès ou d’échec. D’un autre côté, ceux qui adoptent une attitude prudente affirment que les 100 premiers jours ne sont pas suffisants pour évaluer de manière approfondie les politiques publiques d’un gouvernement. Ils arguent que certaines politiques nécessitent plus de temps pour produire des résultats tangibles et qu’il est injuste de les juger trop rapidement. Ils soulignent également que les gouvernements ont souvent besoin d’un certain temps pour s’organiser et mettre en place les structures nécessaires à la mise en œuvre de leurs politiques. Je me situe dans cette seconde catégorie.
On le sait tous, le pouvoir actuel n’est pas d’essence électorale. Le CNSP a justifié sa prise de pouvoir par l’inefficacité de la lutte contre l’insécurité, surtout la lutte contre le terrorisme, en dépit du bradage de la souveraineté nationale en matière de sécurité publique à l’autel de puissances militaires étrangères et la mal gouvernance du pouvoir déchu de Mohamed Bazoum. On le sait aussi, au Niger, la question du paiement régulier des salaires des agents de la fonction est un défi pour tout nouveau pouvoir. Et une menace d’intervention militaire de la CEDEAO pendait aussi au nez du CNSP. Je limiterais donc mon point de vue à ces priorités-là.
Ainsi, sur le plan sécuritaire, il y a bien eu des attaques terroristes avec des dizaines de victimes pendant les 100 premiers jours du CNSP, mais le ressenti des populations dans les zones de conflits est qu’il y a bien une amélioration appréciable. En ce qui concerne la lutte contre la mal gouvernance, la création de la COLDEFF a reçu un formidable écho dans l’opinion ; c’est à mettre à l’actif du CNSP et de son gouvernement. Mais la Commission n’ayant pas encore commencé ses travaux, c’est à ses performances futures que seront appréciées les autorités, plus tard. Jusque-là, je crois savoir aussi qu’en dépit de l’embargo financier communautaire, le gouvernement a honoré ses obligations salariales envers les employés de l’État, même avec quelques désagréments dans certains établissements bancaires. Le CNSP a également réussi à éviter l’intervention militaire projetée par la CEDEAO et la France. Il reste entendu que la plus belle réussite du CNSP est d’avoir pu fédérer l’ensemble des corps sociaux sur l’unité de la Nation et la nécessité de recouvrer sa pleine souveraineté sur ses choix stratégiques, notamment sur les plans sécuritaire et diplomatique.
Par contre, ses performances en matière de régulation des circuits d’approvisionnement et de lutte contre l’inflation de certains produits de première nécessité, son style de communication, quelques nominations et la relative illisibilité de sa politique diplomatique sont généralement pointés du doigt par de nombreux concitoyens. Pour moi, la qualité d’un gouvernement est révélée par sa résilience face aux menaces, sa capacité d’adaptation et sa détermination à protéger les intérêts et le bien-être de sa société. Si on est d’accord avec ça, alors, dans l’ensemble et dans le contexte de menaces multiples auxquelles il a été confronté, on ne peut raisonnablement faire la cruauté au CNSP de lui dire qu’il a échoué sur ses 100 premiers jours aux affaires et, à part quelques marginaux, nul ne souhaite son échec qui serait tragique pour le peuple.
Il est important de noter que le débat entre jugement hâtif et prudence raisonnable ne se limite pas aux 100 premiers jours d’un gouvernement, mais peut également se poursuivre tout au long de sa vie. Cependant, les premiers 100 jours sont souvent considérés comme une période clé pour établir le ton et le rythme du gouvernement, d’où l’importance de ce débat. En fait, il est crucial de trouver un équilibre entre les attentes du public et la nécessité de donner au gouvernement le temps de mettre en place des politiques efficaces. Un jugement hâtif peut être préjudiciable si les politiques publiques nécessitent plus de temps pour produire des résultats, tandis qu’une attitude complaisante peut conduire à un manque de responsabilité et de transparence de la part du gouvernement.
La nomination de certains membres de la COLDEFF ne passe pas au sein de l’opinion. Que pensez-vous de ces critiques ?
On ne peut pas nier que des bruits courent sur certains nominés voire la qualité des enquêtes préalables avant la nomination des membres de la COLDEFF. Je me garde bien de porter quelque appréciation subjective sur qui que ce soit, mais je pense qu’en plus de l’enquête de moralité, une enquête sur les aptitudes professionnelles et techniques est essentielle pour cette mission. Il est tout aussi important d’éviter le piège des dénonciations calomnieuses.
En premier lieu, des vérifications rigoureuses des aptitudes professionnelles doivent être effectuées avant la nomination des membres de la COLDEFF. Il est impératif de s’assurer que ces individus possèdent les compétences et les connaissances nécessaires pour mener à bien leur travail. Et, à mon humble avis, la COLDEFF doit bien être composée d’une équipe multidisciplinaire qui peut apporter une expertise complémentaire pour lutter contre la délinquance économique, financière et fiscale de manière cohérente et efficace. Idéalement, elle devrait inclure notamment les profils d’experts suivants : juristes spécialisés en droit pénal économique et financier pour les poursuites ; fiscalistes à même de traquer les manœuvres d’évasion et d’optimisation fiscale abusive ; analystes financiers et experts-comptables capables d’analyser les données financières et les transactions suspectes afin de détecter des schémas de fraude économique et financière ou d’évasion fiscale ; économistes pouvant aider à évaluer les conséquences économiques de la délinquance économique, financière et fiscale, fournissant des informations essentielles pour élaborer des politiques de lutte efficaces ; experts en enquêtes financières, spécialement formés pour mener des enquêtes approfondies sur des affaires de fraude et de délinquance financière, y compris la recherche de preuves, l’interrogation de témoins et la collecte d’informations pertinentes ; spécialistes de la régulation financière, maîtrisant les mécanismes de régulation et de supervision des marchés financiers, en mesure de repérer les comportements illégaux et frauduleux ; experts en restitution des avoirs, formés pour rechercher et récupérer les actifs acquis illégalement, aidant ainsi à punir les délinquants et à restituer les fonds illégalement soustraits ; spécialistes de la cybersécurité qui, avec l’augmentation des crimes financiers en ligne, sont capables de faire face aux cyberattaques et de traquer les délinquants utilisant des méthodes numériques ; analystes de renseignement pouvant collecter et analyser des renseignements sur la délinquance économique, financière et fiscale, permettant de repérer les réseaux criminels et de détecter les nouveaux modes opératoires ; psychologues et sociologues pouvant apporter un éclairage sur les motivations et les comportements des délinquants économiques, financiers et fiscaux, permettant une meilleure compréhension de ces crimes et l’élaboration de politiques de prévention plus efficaces. De plus, des évaluations indépendantes peuvent être nécessaires pour vérifier la qualité du travail précédent des nominés et leur expérience dans des postes similaires.
En ce qui concerne l’intégrité ou la moralité des membres de la COLDEFF, il est indispensable de mener des enquêtes approfondies pour s’assurer qu’ils n’ont pas été impliqués dans des actes de corruption ou de détournements de fonds publics par le passé. De plus, une évaluation minutieuse de leur réputation et de leur probité doit être réalisée pour s’assurer qu’ils sont dignes de confiance dans l’exercice de leurs fonctions. L’enquête de moralité, elle, est une procédure légale ou administrative qui vise à vérifier l’honorabilité, la moralité et la bonne réputation d’une personne dans le cadre d’une candidature à un emploi, à une fonction publique, à un permis professionnel, etc. Elle implique la collecte et la vérification de nombreuses informations telles que les antécédents judiciaires, les références professionnelles, les emplois précédents, les relations sociales, etc. Ces enquêtes doivent être menées de manière impartiale, confidentielle et dans le respect des droits fondamentaux de la personne concernée. L’objectif est de s’assurer que la personne en question possède les qualités nécessaires et ne présente aucun risque pour la sécurité ou la confiance. Mais attention, il est crucial de ne pas tomber dans le piège des dénonciations calomnieuses et de veiller à ce que justice soit rendue dans le respect des droits et de la dignité de chacun.
Les dénonciations calomnieuses sont des accusations infondées et mensongères visant à nuire à une personne. Il s’agit d’une diffamation intentionnelle dont l’objectif est de salir la réputation ou de causer du tort à quelqu’un, souvent par jalousie, vengeance ou méchanceté. Les dénonciations calomnieuses peuvent causer des dommages considérables à la personne visée, tant sur le plan personnel que professionnel. Il est donc essentiel de s’assurer que toute accusation portée contre quelqu’un est fondée sur des faits vérifiables et dignes de confiance. Malheureusement, il semble que des cas de dénonciations calomnieuses aient eu lieu.
Les vérifications devraient être conduites de manière indépendante pour garantir leur impartialité et éviter tout favoritisme ou ingérence politique dans le processus de nomination. Les organismes indépendants, tels que des commissions anti-corruption ou des organismes de régulation spécifiques, peuvent être chargés de mener ces enquêtes pour assurer leur objectivité et leur transparence.
Clairement, pour moi, il était primordial de s’assurer, avant leur nomination, que les membres de la COLDEFF ont fait l’objet de vérifications approfondies de leurs aptitudes professionnelles et de leur intégrité de manière indépendante. Cette démarche est essentielle pour garantir la crédibilité et l’efficacité de la COLDEFF dans sa lutte contre les infractions économiques, financières et fiscales, voire les abus de pouvoir.
Lors de l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies, le chef de la junte guinéenne, le Colonel Mamady Doumbouya, a proclamé l’échec du modèle démocratique occidental en Afrique. Partagez-vous son avis ?
Le Colonel Mamady Doumbouya a des motifs respectables de dire ce qu’il a dit, mais il est important aussi de souligner que le modèle démocratique a connu des réussites en Afrique. Je crois même que la démocratie est d’essence africaine. Le mode de fonctionnement de l’empire Sonrhaï ou du royaume Mossi m’est à certains égards précurseur de la démocratie occidentale. Actuellement, plusieurs pays ont réussi à établir des systèmes démocratiques fonctionnels, à organiser des élections libres et justes, et à garantir les droits de l’homme et les libertés fondamentales de leurs citoyens. Ces pays montrent que les principes démocratiques sont applicables et que les institutions démocratiques peuvent être mises en place avec succès en Afrique. Cependant, il est vrai que certains pays ont été confrontés à des difficultés dans leur transition démocratique. Certaines raisons possibles de ces échecs pourraient inclure une histoire de conflits ethniques ou religieux, une politique de clientélisme, une corruption endémique, des inégalités économiques persistantes et des facteurs externes tels que l’ingérence étrangère.
Dans certains cas, les mécanismes démocratiques peuvent être utilisés par les élites au pouvoir pour perpétuer leur domination sans réelle responsabilité envers leurs citoyens. Les chefs d’État peuvent aussi chercher à modifier les constitutions pour prolonger leur mandat, ce qui va à l’encontre des principes démocratiques. La vérité, c’est la plupart du temps dans des pays francophones d’Afrique que ces avatars se produisent. Cependant, il est important de noter que ces problèmes ne sont pas spécifiques à l’Afrique ou au modèle démocratique occidental. Ils peuvent être présents dans d’autres régions du monde et sont plutôt le résultat de dynamiques politiques et socio-économiques complexes propres à chaque pays. Il convient également de souligner que l’échec d’un pays à établir un système démocratique durable ne signifie pas automatiquement que le modèle démocratique occidental est inapproprié ou impossible à mettre en œuvre. Les obstacles à la démocratie peuvent être surmontés avec le temps, le dialogue et l’engagement des acteurs nationaux et internationaux. Il est donc important de se méfier des généralisations hâtives et de reconnaître que la démocratie n’est pas un modèle uniforme et rigide, mais un processus complexe qui peut être adapté aux spécificités de chaque contexte national.
Cela dit, à la lumière de la gestion des conflits russo-ukrainien et israélo-palestinien, les performances de l’Organisation des Nations Unies sont aujourd’hui bien questionnables. Certaines critiques portent sur la composition du Conseil de sécurité de l’ONU, où les cinq membres permanents (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni) détiennent un pouvoir de veto qui limite l’action de l’organisation. Les décisions prises par le Conseil de sécurité sont parfois perçues comme biaisées et favorables aux intérêts des grandes puissances. D’autres critiques se concentrent sur l’inertie de l’ONU face aux conflits et aux violations des droits de l’homme. Certaines situations, comme le génocide au Rwanda en 1994 ou la guerre en Syrie, ont mis en évidence l’incapacité de l’organisation à réagir rapidement et efficacement pour prévenir les massacres ou mettre fin aux violences.
De plus, l’ONU est souvent critiquée pour son manque de transparence et de responsabilité dans sa gestion financière. Certains dénoncent également le fait que l’organisation soit trop dépendante des contributions financières des États membres, ce qui peut influencer sa neutralité dans certaines situations. Enfin, certains remettent en question le fonctionnement même des organes de l’ONU et la lenteur des procédures décisionnelles. Les négociations politiques au sein de l’organisation sont souvent perçues comme longues et inefficaces, ce qui limite la capacité de l’ONU à prendre des mesures concrètes et à résoudre rapidement les problèmes auxquels elle est confrontée.
Cependant, malgré ces critiques, l’ONU reste une institution essentielle pour la coopération internationale et continue de jouer un rôle majeur dans de nombreux domaines tels que la résolution des conflits, la promotion des droits de l’homme, le développement durable et l’aide humanitaire. Des réformes sont régulièrement proposées pour améliorer le fonctionnement de l’organisation et lui permettre de mieux répondre aux défis du XXIe siècle mais elles attendent toujours. Il urge de les réaliser à l’avantage partagé de l’humanité.