Le fait d’inviter officiellement des dignitaires en exil du régime déchu de la Renaissance aux travaux de sa 64e session de la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement du 10 décembre 2023 à Abuja (Nigéria), alors même que l’organisation communautaire a prononcé la suspension du Niger de toutes ses instances suite au coup d’Etat militaire du 26 juillet 2023, prouve clairement que la CEDEAO est comme un bateau ivre.
Elle n’a plus de repères. Elle agit en fonction des désidératas des puissances étrangères qui la manipulent. Les images de l’ancien Premier ministre Ouhoumoudou Mahamadou, de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Hassoumi Massoudou, et de l’ancien ministre du Commerce, Alkache Alhada, assis gaillardement derrière le drapeau du Niger à l’ouverture des travaux de la Conférence, qui ont circulé sur les réseaux sociaux, n’ont pas choqué seulement les Nigériens.
Elles ont suscité une vive indignation un peu partout dans le monde parce qu’elles montent le degré de mépris de la CEDEAO vis-à-vis du Niger et de son peuple souverain. Sinon comment peut-on exclure notre pays de sa réunion et autoriser des personnalités du régime déchu à y participer, même à titre symbolique ? Il s’agit d’une insulte inacceptable de trop de la part de la CEDEAO, après ses sanctions illégales et barbares dont souffrent les Nigériens depuis plus de 4 mois et dont la levée ou le maintien était d’ailleurs à l’ordre du jour des travaux de la Conférence des chefs d’Etat.
Réponse du berger à la bergère
Un affront de trop auquel le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), l’organe politique de la junte militaire au pouvoir, a tenu à répondre sèchement, dans un communiqué rendu public mercredi. Exprimant sans détour l’indignation du gouvernement et des Nigériens par rapport à la participation des dignitaires du régime déchu en cavale, le communiqué ‘’condamne avec fermeté cette énième provocation de la CEDEAO qui est de nature à saper tout effort pour trouver une solution diplomatique et négociée à la situation politique actuelle’’.
Les responsables de l’organisation communautaire sont visiblement en train de perdre le nord dans la gestion de la crise politique nigérienne. Suspendre le Niger de ses instances et ‘’permettre à des fugitifs de représenter illégalement le pays’’ constitue assurément ‘’une attitude désinvolte sur fond d’incohérence’’ qui prouve éloquemment ‘’le mépris de la CEDEAO pour les textes communautaires et le droit international en général’’, estime le CNSP.
Mais cette incohérence de la CEDEAO est loin d’être fortuite ; elle s’inscrit, selon Niamey, ‘’dans une logique de soutien à des amis politiques et autres partenaires d’affaire au détriment des intérêts des Etats et des peuples de la CEDEAO’’. Plus grave encore, ‘’elle participe d’un plan subversif de déstabilisation du Niger à travers la formation d’un prétendu gouvernement parallèle soutenu par des puissances étrangères’’, dénonce le CNSP.
Occasion d’ailleurs pour Niamey de rappeler à Bola Ahmed Tinubu, président du Nigéria et président en exercice de la CEDEAO que le Niger et son pays ‘’ont des liens millénaires et intangibles de fraternité qui méritent d’être préservés’’.
Et de lui signifier qu’il ne pourra pas continuer à abriter dans son pays des individus recherchés par la justice nigérienne qui participent à la tentative de déstabilisation du Niger à partir du Nigéria.
Pour une fois, depuis le début du bras de fer, cette sortie musclée de Niamey a ébranlé la sérénité de la CEDEAO qui est restée jusqu’ici insensible aux dénonciations répétées de son attitude irrévérencieuse et sournoise vis-à-vis de notre pays.
Dans un communiqué dit ‘’de clarifications’’ publié jeudi 14 décembre, la Commission de la CEDEAO a fourni des arguments tirés par les cheveux pour tenter de justifier la participation des dignitaires du régime déchu en exil à la rencontre.
Une justification farfelue
Pour la Commission, jusqu’à sa 64e session ordinaire, ‘’la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement voyait dans la situation survenue au Niger une tentative de coup d’Etat, et considérait Mohamed Bazoum comme le président de la République du Niger’’. Sur la base de cette vision, ‘’le Niger n’était pas suspendu des organes de décision de la CEDEAO et les membres du gouvernement de Bazoum étaient habilités à représenter à représenter le Niger aux réunions statutaires de la CEDEAO’’, souligne le communiqué, qui dit prendre acte, à compter du 10 décembre 2023 seulement, du renversement effectif de Bazoum du pouvoir.
Par conséquent, à compter de cette date, ‘’le Niger est suspendu de l’ensemble des organes de décision de la CEDEAO, jusqu’au rétablissement de l’ordre constitutionnel’’, conclut le communiqué.
Ce raisonnement alambiqué de la Commission fera certainement date dans les annales de la CEDEAO. On suspend un pays des instances de l’organisation pour cause de coup d’Etat militaire.
Mais malgré la suspension du pays, les dignitaires du régime renversé en fuite sont autorisés à participer aux instances de l’organisation pour parler au nom du pays jusqu’à ce 10 décembre 2023. En lieu et place des nouvelles autorités qui tiennent les rênes du pouvoir et qui ont le soutien indéfectible des populations.
Est-ce l’Etat du Niger qui a ratifié les textes de la CEDEAO ou ces individus chassés du pouvoir ? Les enseignants-chercheurs en sciences politiques ont vraiment de la matière à disséquer avec la gestion inédite de la crise politique nigérienne par l’organisation moribonde d’intégration économique de l’Afrique de l’Ouest.