Faute d’une communication des autorités de la transition sur la scabreuse affaire, le présumé trafic d’or découvert récemment à l’aéroport de Niamey n’a pas fini de susciter des vagues au sein de l’opinion nationale. Normal. Le caractère précieux du métal sur lequel porte le trafic et l’importance de la valeur de la marchandise en cause ont entraîné la réaffectation systématique de plusieurs dizaines d’agents civils et porteurs de tenue travaillant à l’aéroport. Dégager en même temps autant d’agents de leurs postes implique qu’il y a anguille sous roche. Surtout lorsqu’on parle d’un trafic portant sur une quantité de lingots d’or dont la valeur est chiffrée à desmilliards francs CFA.
Scandale dans scandale
Au moment où les Nigériens exigent des autorités la lumière sur le sulfureux trafic à l’aéroport de Niamey, l’Association nigérienne de lutte contre la corruption (ANLC), section de Transparency international, rapporte ‘’la saisie de 1.400 Kg d’or en provenance du Niger et dont la valeur est estimée à près de soixante (60) milliards de Francs CFA à l’aéroport d’Addis-Abeba’’. Qui sont les acteurs cachés derrière ce trafic d’or ? Comment de telles quantités importantes du métal précieux peuvent-elles sortir frauduleusement de notre pays à partir du principal aéroport sans être décelées ? Ce trafic dure depuis combien de temps ? A qui appartient la marchandise ? D’où provient-elle ?
La mesure conservatoire prise par les responsables des différents corps de métiers (douane, police, gendarmerie, eaux et forêts, ANAC, CAAT) consistant notamment à relever tous leurs agents en poste à l’aéroport, pour le besoin des investigations, suffit-elle seule pour convaincre les Nigériens quant à une réelle volonté des autorités de transition d’élucider les contours de ce trafic fortement préjudiciable à nos finances publiques ? Le doute est permis !
Ce n’est pas évident, on chercherait peut être juste à noyer le poisson, en sacrifiant les acteurs qui sont au bout de la chaîne locale d’un vaste trafic criminel. On ne voyage pas à l’aéroport comme à l’auto-gare. Les mesures sécuritaires pour embarquer dans un aéronef impliquent non seulement des renseignements détaillés sur le passager mais aussi sur ses bagages qui sont passés au filtre par scanner pour en connaître la nature.
Lorsqu’il s’agit de sortie d’or de notre pays par voie aérienne, quelle qu’en soit la quantité, cela ne peut se faire que de deux manières : soit une personne voyage avec la marchandise et dans ce cas, les données sur le propriétaire et la quantité de l’or sont soigneusement recueillies et consignées. Soit c’est par fret, sans accompagnant de la marchandise, dans ce cas, un document aéroportuaire (LTA, lettre de transit aéroportuaire) est établi pour la destination de la marchandise.
Un autre détail précieux dans ce genre de transaction, il faut nécessairement se prémunir d’une autorisation dûment délivrée par le ministère des Mines, qui est exigée à l’aéroport par les services compétents si les choses sont faites dans les règles de l’art. Ce qui implique des investigations du côté aussi de ce ministère ! Par ailleurs si la procédure a été respectée, c’est-à-dire si la LTA était conforme à la marchandise, l’or n’aurait pas été saisie à Addis-Abeba. Si cela a été le cas, il y a probablement aiguille sous roche.
Trafic hautement mafieux
La déclaration de l’ANLC/TI permet à l’opinion d’apprécier l’épaisseur de l’écran de fumée entourant la commercialisation à l’international de l’or dans notre pays. Pour l’Association, cette affaire révèle ‘’des pratiques corruptives à grande échelle dans la chaîne de gestion des autorisations d’exploitation et de commercialisation des ressources aurifères’’. Sur la base d’une analyse des données de l’exportation de l’or du Niger en direction de Dubaï (Emirats Arabes Unis), l’organisation a dit avoir décelé plusieurs incohérences grotesques.
Il s’agit de l’’Étude de Cadrage sur l’amélioration de la prise en compte du secteur minier artisanal et de petite échelle de l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE-Niger) réalisée en novembre 2022, qui souligne que ‘’le Niger a exporté officiellement 235,6 kg d’or pour une valeur de 9,7 millions d’Euros’’’, alors que des investigations à partir de Dubaï montrent que ‘’les Émirats Arabes Unis ont réellement importé 11,8 tonnes d’or d’une valeur de 457 millions d’Euros en provenance du Niger’’. Cet important écart résulte de ce trafic.
Car selon le document ‘’les exportations réelles d’or du Niger en direction de Dubaï (Emirats Arabes Unis) ont atteint jusqu’à 34,26 tonnes pour une valeur totale de 1 743,5 millions Dollars américains en 2020 tandis que seulement 18,2 tonnes ont été déclarées au ministère des Mines au cours de la même année’’. Cette différence de 16,06 tonnes entre la quantité d’or réellement déclarée et la quantité ayant quitté le Niger justifie que nous sommes au cœur de la grande corruption qui se manifeste notamment par le commerce illicite de l’or et/ou la commercialisation de l’or illicite, souligne la déclaration.
Pour Sidi Abdou, vice-président de l’ANLC, ce trafic est hautement préjudiciable pour notre pays. ‘’D’abord sur le plan de la mobilisation des ressources financières où l’Etat perd beaucoup d’argent au profit des trafiquants et leurs complices. Ensuite, sur le plan de l’image même de notre pays qui risque d’être étiqueté comme un pays voyou, où les trafics illicites en tous genres ont cours’’.
Selon lui, il faut faire toute la lumière autour de cette affaire pour ‘’préserver l’image de notre pays déjà confronté à un sérieux problème de desserte avant même les événements du 26 juillet 2023’’.