A moins d’être d’une crédulité sans bornes, tous nos compatriotes sont aujourd’hui, plus ou moins convaincus, que le retour vers une vie constitutionnelle dans les normes n’est pas pour demain. D’autant plus que certains indices, très édifiants, incitent à croire que le général de brigade Abdourahamane Tiani n’entend pas céder le pouvoir de sitôt. Et pour cause ! Qui peut mettre sa main au feu qu’il ne sera pas candidat aux prochaines élections présidentielles ? Qui ? Sincèrement ?
Du reste, avec la brèche grandement ouverte par Mahamat Idriss Deby Itno du Tchad et Brice OliguiNguema du Gabon, tous deux briguant la magistrature suprême de leurs pays respectifs, après un coup d’Etat, en bonne et due forme, beaucoup d’observateurs de l’échiquier politique ouest-africain se sont dits qu’Assimi Goïta , Ibrahim Traoré et Abdourahamane Tiani seraient d’une candeur indécrottable s’ils ne saisissaient pas l’opportunité offerte pour, eux aussi, d’emboîter le pas à leurs pairs du Tchad et du Gabon. Cependant, il y a un hic. Tchad et Gabon sont très différents politiquement des trois États de l’AES. D’un côté, le népotisme est passé dans les mœurs politiques et, de l’autre, une véritable tradition de liberté d’expression qui nourrit un semblant de démocratie de type libéral, à vrai dire encadré par des tuteurs vigilants, est de rigueur. C’est ainsi que la confrontation des idées, plus d’une fois, a abouti à de réelles alternances politiques.
Pour tout dire, ce qui peut passer comme une lettre à la poste ailleurs, ici, peut buter contre l’esprit rebelle et stoïques des Ouest-Africains.
Fascisme rampant
Pour Hitler, Mussolini, Franco, Salazar ou Mobutu, arrivés au pouvoir soit par effraction, soit grâce aux mécanismes démocratiques, la première des choses à faire , si l’on veut perdurer au pouvoir, c’est justement de se rendre maître de la communication sous toutes ses formes. Staline n’a-t-il pas déclaré un jour : « Donnez-moi la communication des États-Unis d’Amérique et je ferai de ce pays un État communiste en dix ans ! » ?
Le fascisme intégral naît petit à petit, de manière rampante, sans trop éveiller l’attention des démocrates idéalistes.
La stigmatisation d’une frange de nos compatriotes est un signe qui ne trompe pas. Nous n’en sommes pas encore là. Mais déjà on distingue les révolutionnaires des contre-révolutionnaires sans que l’on nous dise quels sont les critères, ni qui les a édictés …
Un pouvoir, quel qu’il soit, ne peut se passer de partisans représentant une masse critique d’adhésion. Tant que le peuple soutient le fasciste autocrate, celui -ci peut tenir longtemps. Mais, si d’aventure, le Peuple se détourne de lui , assurément, ses jours sont comptés. Aujourd’hui, Tiani et ses compagnons sont sur la corde raide. Face à une désaffection perceptible des masses populaires, ils se demandent à quel saint se vouer. Non pas qu’ils soient critiquables du fait de leur intention supposée de s’éterniser au pouvoir, mais par pur désenchantement dû à une soif de justice non étanchée. Nos prétoriens veulent-ils le beurre et l’argent du beurre ? Se demande la société civile. Espèrent-ils le pouvoir pour eux aujourd’hui, avec en sus un renvoi d’ascenseur éventuel à ceux qu’ils ont renversés ? Le calcul est simple. Il faudra, d’une manière ou d’une autre, donner la parole aux urnes. Pour des néophytes en kaki, sans l’appui complice d’un ou plusieurs partis politiques existants, leur champion, en l’occurrence Abdourahamane Tiani, n’a aucune chance de remporter la future consultation présidentielle, sans commettre quelques indélicatesses. D’où la situation indécise actuelle qui force le CNSP à ménager la chèvre et le chou.
Peut-il en être autrement ? Est-on obligé de passer par l’étape du fascisme ?
Qui le sait ?
On ne peut que prier pour que la menace fasciste se dissipe au plus tôt. On ne peut qu’espérer que Tiani et ses compagnons aient à cœur de laisser une marque positive dans l’histoire de leur pays, après leur passage aux commandes. Certes, nous pouvons suivre les Patriotes qu’ils sont jusqu’au sacrifice ultime. Mais pas au prix de l’instauration d’un fascisme qui charrie partout où il peut prospérer que ruine, désolation et malheurs.