‘’Ce procédé consistant à donner l’impunité aux soldats français, auteurs de tueries lâches, ne présage rien de bon pour l’avenir’’
Le principe du dédommagement des familles des trois jeunes tués à Téra et des blessés lors du passage du convoi de la force française Barkhane dans la localité et le récent retrait du Mali de la force militaire du G5 Sahel alimentent le débat au sein de l’opinion. Nous vous livrons, à travers cet entretien, l’analyse de Dr Souley Adji, enseignant-chercheur en sociologie politique à l’université de Niamey, sur les deux sujets.
L’Enquêteur : Paris et Niamey ont finalement décidé de dédommager les familles des victimes et les blessés de la répression barbare contre les manifestants voulant empêcher le passage du convoi de la force française Barkhane le 27 novembre 2021 à Téra. Comment analysez-vous cette démarche qui vise à clore définitivement cette affaire choquante ?
Dr. SouleyAdji : Il s’agit là d’une porte de sortie, quelque peu honorable pour la France, prompte à condamner aujourd’hui les crimes de guerre et les assassinats en Ukraine. Or, ce que l’armée française a fait au Niger, dans le département de Téra, n’est ni plus ni moins qu’un froid assassinat de civils désarmés, notamment des enfants innocents. Comme, de triste mémoire, à l’époque coloniale. Or, s’il suffisait d’aligner quelques dizaines de liasses d’euros pour effacer un crime et redorer le blason de l’armée, Vladimir Poutine aurait depuis longtemps mis la main dans la bourse. Surtout, ce genre de transaction, les Ukrainiens ne l’auraient jamais accepté : de l’argent en compensation des morts !
Il se trouve qu’au Niger, au nom d’une certaine amitié proclamée à la France, l’on se croit tout permis : faire passer en pertes et profits le meurtre des enfants du pays moyennant une modique indemnisation aux familles ! N’est-ce pas là carte blanche donnée aux barbouzes françaises pour que désormais elles tirent à vue sur les jeunes patriotes africains, sans se poser des questions, donc sans s’inquiéter sur le sort des soldats criminels ? Puisque l’intendance suivra, l’indemnisation des parents des victimes sera garantie, qui plus est, avec la participation du pays hôte. Pourtant, actuellement, en Ukraine, se tient le procès d’un jeune soldat russe, qui avait reconnu avoir abattu un civil ukrainien, certainement un patriote comme l’étaient les jeunes de Téra liquidés par un convoi français dans leur propre pays. C’est dire que ce procédé consistant à donner l’impunité aux soldats français, auteurs de tueries lâches, ne présage rien de bon pour l’avenir. Il suffit seulement de se rendre à l’évidence que s’il s’était agi de la situation inverse, un Nigérien tuant un Français en France, la justice irait jusqu’au bout et les coupables proprement châtiés. Aussi, dans nos pays, la justice devrait plus que jamais rompre le cordon ombilical avec le pouvoir Exécutif dont les intérêts ne sont pas forcément ceux de la nation. La société civile devrait à son tour dénoncer cette malversation juridico-politique indigne, voire porter l’affaire devant les instances supérieures ou régionales.
Avec le récent retrait du Mali de la force du G5 Sahel, comment entrevoyez-vous désormais la poursuite de la lutte contre le terrorisme au Sahel ?
Le retrait du Mali de ladite force signe évidemment la fin de la mission. Je ne vois pas quel État ou troupe militaire va s’aventurer au Mali sans l’aval des autorités de ce pays, épicentre de la guerre contre le djihadisme. C’est donc une situation très difficile pour la France et ses alliés sahéliens, qui n’avaient eu de cesse de malmener voire d’humilier la junte malienne. Ce deux poids deux mesures observé dans la posture de la France vis-à-vis de DébyItno fils et de Goïta, tous deux militaires et en déficit de légitimité, ne saurait évidemment à terme que déboucher sur le retrait du Mali de la force conjointe. Probablement que le Mali comptera désormais davantage sur ses alliés russes notamment pour compenser le manque à gagner de l’apport des forces françaises. Il reste aussi que le Niger risque d’être le nouvel épicentre des troupes étrangères et donc une cible privilégiée des groupes terroristes. Du reste, la décision malienne sera fort de nature à troubler le sommeil des pays côtiers comme le Togo ou la Côte d’Ivoire, déjà victimes de raids djihadistes sporadiques. Un pourrissement de la situation politique n’est au demeurant nullement à exclure, de nouvelles velléités militaristes étant susceptibles de poindre dans la sous-région.