L’Enquêteur : Le gouvernement a annoncé lors du conseil des ministres du vendredi 2 septembre 2022 la libération, le lundi 29 août dernier, de l’Américaine Suellen Tennyson, enlevée à Yalgo, au Burkina Faso, en avril dernier. Comment appréciez-vous cet investissement des autorités nigériennes pour la libération de l’otage saine et sauve ?
Dr. Souley Adji : Dans ce cas de figure, il n’est évidemment pas exclu que les autorités nigériennes disposent, conservent encore des contacts forts et réguliers avec certains réseaux ou figures proches de la mouvance djihadiste. Il s’agira de les réactiver en cas d’urgence. Surtout que le président Bazoum a lui-même étoffé son cabinet en matière de questions sécuritaires. Il a ainsi approché et nommé comme Conseiller spécial un ancien homme de l’ombre de Blaise Compaoré, chargé des affaires d’enlèvement d’otages notamment. Une éminence grise qu’il connaissait de longue date et surnommé par la presse internationale comme le “Jacques Foccart sans mallette du Sahel”. Il s’agit du mauritanien Moustapha Ould Chaffi, rompu aux questions de sécurité dans l’environnement sahélien. L’homme a une connaissance notable de ce milieu et a déjà fait ses preuves au Burkina et au Mali notamment. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait pris en charge et solutionné le dossier de l’enlèvement de l’otage américaine. Dans la mesure où la demande vient des Américains, le Niger se doit évidemment de faire diligence, la contrepartie pour le gouvernement pouvant s’apprécier en termes d’investissements dans les projets de développement, voire d’appuis de toutes natures.
Paradoxalement, les mêmes les efforts ne sont pas déployés par le gouvernement pour obtenir la libération des nombreux otages nigériens entre les mains des groupes terroristes. Comment expliquez-vous cette attitude ?
Le Président Bazoum ne dispose pas, par contre, de ressources humaines d’une telle qualité relativement à la région de Diffa, où les enlèvements sont devenus monnaie courante. À défaut de médiateurs professionnels et reconnus, il paraît de fait difficile d’approcher Boko Haram en vue de transactions visant à libérer des otages ou de mettre en place une trêve, amorce d’une négociation générale sur les revendications des fauteurs de troubles. L’on ne doit donc reprocher un manque d’initiative ou de volonté concernant la libération des autres otages, faute d’interlocuteurs valables et surtout d’experts en négociations. A défaut, seul l’usage de la force et la mobilisation des renseignements pourraient aider à élargir les autres otages nigériens. À moins que d’ici là, le cabinet présidentiel ne soit renforcé de nouvelles ressources humaines à la hauteur des enjeux.
Le mois d’août a été cette année exceptionnellement marqué par une recrudescence des activités de Boko Haram à Diffa. Qu’est qui pourrait expliquer cette situation?
C’est vrai que ce mois d’août a été très sanglant comme si l’on vivait les années fastes de Boko Haram. Il ne faut cependant pas oublier que dans ce même mois d’août, en 2021, les Boko Haram (BH) avaient initié maintes attaques, dans lesquelles seize(16) FDS notamment furent tués d’un coup. L’armée, elle, avait réussi à liquider une cinquantaine de terroristes. Si à l’époque, l’on pouvait faire le lien avec le retour des déplacés dans leurs villages, cette année, il s’agit, à mon avis, plutôt de violences génératrices de revenus (VGR). Il faut en effet souligner que la vie ayant repris son cours -quasi normal- les activités commerciales sont florissantes en ce mois d’hivernage, les marchés sont abondants en biens, la pêche bat son plein et l’argent circule plus facilement. La tentation est donc grande pour BH de chercher à faire main basse sur ces ressources, afin de faire des provisions pour la prochaine période de disette, afin de constituer tôt leur logistique de guerre, aussi bien en armements qu’en alimentation. En raison de la période d’hivernage, le mois d’août paraît également très propice aux attaques, la végétation, très dense, permettant le camouflage et la dissimulation, les usagers étant obligés de mener dans les champs et le lac des activités génératrices de revenus. Comment en effet distinguer un pêcheur ou un agriculteur d’un terroriste sanguinaire ? Il y a donc lieu pour nos FDS de prêter une attention toute particulière au cours de cette période d’hivernage, où tous les chats sont gris. Et aux citoyens de redoubler de vigilance dans leurs entreprises agricoles et halieutiques notamment. Surtout, les FDS doivent changer de stratégie de lutte, la spécificité de la période d’hivernage exigeant l’invention d’un dispositif de prévention et de riposte adéquat à l’environnement.