Cet entretien avec Dr. Souley Adji porte sur deux volets : le prochain du PNDS-Tarayya qui aura lieu en décembre prochain et qui risque d’être tumultueux du fait notamment de l’apparition de deux clans dans le parti, et l’attaque en règle du Premier ministre malien à New York contre le président Bazoum Mohamed, en marge des travaux de l’Assemblée générale des Nations Unies. Une analyse édifiante de l’enseignant-chercheur en sociologie politique à l’UAM.
L’Enquêteur : Le congrès du PNDS-Tarayya est prévu pour décembre prochain. Du fait de l’apparition de deux clans antagoniques au sein du parti (le clan Bazoum et celui d’Issoufou), comment entrevoyez-vous le climat dans lequel ces travaux vont se dérouler ?
Dr Souley Adji : Les deux camps dont on parle ne sont pas aussi nettement dessinés au point de lister clairement les membres de chacune des coteries. Toutefois, on peut identifier des individualités, dont la proximité avec Bazoum ou Issoufou est connue de notoriété publique. Aussi, ce sera certainement le rapport de force actuel entre les deux camps qui risque fort de se traduire au congrès. Les instances régionales d’avant congrès préfigurent évidemment de la configuration des rapports de force le jour solennel venu. Or, selon le degré de proximité des barons du parti conviés à assister aux instances régionales, l’on constate que nombre de proches de l’ancien Président sont sur le pied de guerre. Dès lors, une fois que ces rendez-vous régionaux auront baissé les rideaux, les principaux barons des deux bords sauront, à l’avance, les résultats voire les conclusions du congrès de décembre. C’est dire donc que le congrès ne sera ni plus ni moins qu’une instance nationale pour entériner les desiderata de l’un ou de l’autre camp. Dans cette mesure, il ne faudrait point s’attendre à la mise en place d’une procédure de vote, mais probablement d’une procédure par consensus, afin de maintenir l’unité – même factice – du parti. L’on se rappelle d’ailleurs que le choix de Bazoum Mohamed comme candidat du parti à la dernière présidentielle avait fait appel à la procédure du consensus, un vote devenant délicat voire risqué aux yeux de Mahamadou Issoufou notamment.
Au demeurant, on peut dire que la première manche du congrès se jouera d’ici décembre, la seconde et dernière manche au congrès. Cela suppose par conséquent beaucoup d’investissements financiers et de promesses de postes pour convaincre les délégués régionaux de la nécessité et de l’orientation de leurs choix pour l’une ou l’autre aile. Toutefois, étant donné l’impuissance de Bazoum à opérer certaines réformes de son cru, dont le chef de corps de la garde présidentielle, il y a fort à parier qu’il risque de ne pas faire le poids face au madré Mahamadou Issoufou. Bien au contraire, il risque d’encaisser passivement tous les coups, même ceux qu’il pourrait aisément parer ou éviter.
Qu’est-ce qui pourrait expliquer l’apparition de cette friction au sein de ce parti qui a su durant tout son long parcours faire preuve d’une cohésion interne irréprochable ?
La cohésion du parti n’était quand même pas si irréprochable quand l’on a connu certaines secousses, ayant d’ailleurs conduit à des défections. Il semble néanmoins qu’il persiste un large consensus en son sein, tenant principalement à son caractère stalinien, et sans doute aussi aux tares et limites de leurs adversaires, peu politisés et faiblement politiciens. Toutefois, le parti étant constitué de diverses personnalités, aux centres d’intérêt personnels différents, il peut arriver que les ambitions personnelles prennent le dessus. Surtout quand la détention du pouvoir suprême devient un enjeu partagé. Dans toutes les traditions historiques, l’on observe que le pouvoir corrompt tant dans sa quête, sa détention que son exercice. C’est pourquoi les sentimentaux ne peuvent pas gouverner : il faut, en matière de pouvoir, forcément bousculer, faire des choix, pas toujours compris et dans lesquels ne doit subsister aucun sentiment de faiblesse ou de recul. Se poser pour s’imposer, parfois à n’importe quel prix : tel doit être le moteur des prétendants à s’élever au-dessus des autres. En cela, l’on comprend dès lors qu’aucune structure, surtout politique, ne pourrait s’affranchir durablement des tensions et des contentieux en son sein, les luttes de pouvoir devenant de plus en plus âpres, selon les calculs et les stratégies des uns et des autres. Le PNDS n’est pas né dans le granit. Il est donc forcément sujet aussi à des frictions, à des malentendus et des bras-de-fer.
L’enjeu majeur lors du prochain congrès, c’est bien entendu le contrôle de l’appareil du parti convoité par chacun des deux clans. Qu’est-ce qui risque de se passer si le clan Bazoum l’emporte ou si celui d’Issoufou prend le dessus à l’issue du congrès ?
Comme l’on pressent déjà que le congrès sera très probablement davantage favorable à Issoufou Mahamadou qu’à Bazoum Mohamed, il faut croire que celui-ci deviendra de plus en plus l’otage du premier, qu’il aura davantage les mains liées et ne décidera donc pas de grand-chose durant le reste de son mandat. D’ores et déjà, les Nigériens ont l’impression qu’il n’a pas encore vraiment réalisé qu’il est le premier d’entre eux, à moins qu’il ne s’agisse d’un complexe de minorité. N’avait-il pas lui-même confessé un jour que son statut de minorité ethnique ne lui avait jamais suscité en lui la quête du pouvoir suprême ? À présent, il doit donc redescendre sur terre et réalisé, que malgré ce handicap, il a réussi à nouer un bail de cinq ans au palais présidentiel. De sa capacité à s’assumer pleinement dépendra son second mandat et surtout l’intérêt général qu’il aime souvent mettre en exergue. L’on craint cependant que dans son subconscient, il demeure toujours un chef de parti, prêt à ne penser qu’au développement du parti, au détriment de l’intérêt général. Sa toute récente interview sur une chaîne internationale donne froid au dos, en montrant peut-être son véritable visage : celui d’un politicien, attaché à la grandeur du parti, et non celui d’un homme d’État, mû par le bien-être de tous ces compatriotes, peu importe leurs affiliations, et par la consolidation de la démocratie et de la bonne gouvernance. Espérons qu’il en a profondément pris conscience.
Abordons à présent cette question d’ordre diplomatique. Les attaques inamicales entre les autorités maliennes et nigériennes se sont délocalisées à l’AG des Nations Unies où il y a eu une attaque en règle du PM par intérim du Mali contre Bazoum Mohamed. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?
Il est d’usage qu’un chef d’État ne s’ingère point dans les affaires d’un autre pays, encore moins s’il s’agit d’un contentieux politique. À moins alors qu’il n’y soit formellement sollicité ou ne prenne lui-même l’initiative de la paix et de la réconciliation. C’est cette règle d’or diplomatique que le Président nigérien a souvent tendance à oublier. Comme si le langage syndicaliste continuait de l’habiter, même une fois devenu diplomate d’État et surtout Président de la République. Oui, chassez le naturel, dit-on, il revient au galop ! On lui concédera aisément qu’il n’a jamais étudié la diplomatie, mais le bon sens devrait l’emmener à comprendre qu’il ne parle plus au nom d’un syndicat, encore moins en son nom propre, mais au nom d’une nation dont il est le premier citoyen, donc modèle de vertu et exemplaire dans sa conduite. C’est pourquoi, nombre de ses compatriotes sont stupéfaits voire se sentent choqués quand, oubliant son statut, il emploie des termes excessifs, mal venus dans un contexte politique ou international donné. Ce qui, bien souvent est anti-productif, car, comme par effet de boomerang, il récolte, en pire, les fruits de ce qu’il a semés. En devenant même la risée de nombreux internautes, friands de gaffes ou des impertinences langagières des hommes politiques. N’ayant point, lui non plus, sa langue dans sa poche, le PM par intérim malien a probablement dû se délecter en donnant une réponse dans la même veine que celle du personnage. Il a montré aux autorités nigériennes qu’à ce petit jeu de mots diffamants ou récoltants, elles ne feraient pas le poids et qu’une autre approche serait meilleure – quand il s’agit des relations entre les deux pays, frères et voisins. C’est peut-être sans doute cette proximité historique que semble minimiser Mohamed Bazoum, toujours prompt à prendre le parti de la France – quoi que cela en coûte pour la paix avec nos voisins – même sous la férule d’une junte. Après tout, ne postule-t-on pas, ici et là, que Bazoum Mohamed peine, tarde à entrer dans les habits d’un véritable chef d’État, héritier d’une longue histoire de paix et de fraternité avec ses voisins ? Quand l’authentique Président de la République parlera-t-il en lui et le fera remuer sept fois sa langue avant de parler ? Non, ce n’est peut-être pas demain la veille.