Au Niger, le mariage des enfants est une pratique très répandue dont les principales victimes sont les filles. Selon le ministère de la Promotion de femme et de la Protection de l’enfant, plus de 76 % des filles au Niger sont mariées avant l’âge de 18 ans. De ce pourcentage, près de la moitié le sont avant l’âge de 15 ans, et très souvent malgré elles.
Maradi, capitale économique du Niger, à environ 618 km de Niamey (au centre sud-est du Niger), figure parmi les régions du pays où le phénomène du mariage précoce persiste encore avec beaucoup d’acuité.
Au quartier Yan Banana de Maradi vit Mahamadou Ousmane, un homme âgé de 67 ans. Pour lui, il faut faire autant d’enfants que possible et les marier très tôt. «J’ai 39 enfants et 38 petits fils présentement. J’ai marié 12 filles et 3 garçons. Mes filles, je les ai mariées de manière stricte à l’âge de 13 ans, exceptée une (Rosa) qui l’a été à 14 ans», déclare le patriarche surnommé ‘’Délicat’’ à Maradi. Pour lui et certains de sa génération, ceci n’a rien de particulier, il s’agit de reconduire des pratiques ancestrales.
Malheureusement, pour les jeunes filles, ces pratiques comportent d’énormes conséquences sanitaires et sociales. Entre mortalité maternelle, fistule obstétricale et abandon scolaire, elles sont des milliers de jeunes filles victimes de ce fléau social qui préoccupe jusqu’au sommet de l’État.
Une pratique à hauts risques…
A Tibiri, un département de Maradi, en ce mois pluvieux de septembre, les travaux agricoles occupent tout le monde. Amina Salifou est l’une des rares femmes restée au village ce matin. La plupart d’entre elles sont parties au champ, certaines pour aider leurs époux, d’autres pour s’occuper de leurs petits lopins de terre semés de haricot et d’arachide. Mariée de force en 2018 à l’âge de 13 ans, Amina a connu les pires affres du mariage précoce.
«J’étais en classe de 5e et je passais en 4e lorsque pendant les vacances, mon père décida de me donner en mariage au fils d’un de ses amis», raconte-t-elle. Malgré la forte opposition de sa mère qui supplia son époux de laisser sa fille poursuivre l’école, rien n’y fit !
« Mon père rétorqua qu’il a promis à son ami de me donner en mariage à son fils depuis que j’étais encore enfant », poursuit Amina.
C’est ainsi que le mariage fut scellé sans son consentement et sans l’aval de ma mère. A l’époque, Amina avait 13 ans tandis que l’homme en question en avait 37 et avec déjà une femme et cinq enfants.
Deux ans plus tard, Amina, encore mineure, contracte sa première grossesse. Les conditions de vie dans son foyer étaient insoutenables.
«Le foyer conjugal était comme une prison. Je n’avais pas le droit de sortir de la maison sans l’autorisation expresse de mon mari», se rappelle-t-elle.
La jeune fille, qui a cessé de fréquenter les bancs contre son gré pour se retrouver avec un statut de femme au foyer ne pouvait donc même pas se rendre aux consultations prénatales, pourtant obligatoire pour un suivi régulier de sa grossesse. Ce qui n’a pas été sans conséquence sur sa santé et le bébé qu’elle attendait.
Ainsi, dit-elle, « lorsque la grossesse est arrivée à terme et qu’on m’a transportée à la maternité pour l’accouchement, il y a eu des complications. J’ai passé 48 heures de travail sans parvenir à mettre au monde le bébé. C’est seulement au 3e jour que les sages-femmes ont pu me délivrer, mais l’enfant est arrivé sans vie».
Devant cette situation, Amina a été placée en observation pour une semaine. Au bout du 2e jour d’observation, elle a constaté qu’elle ne pouvait plus retenir les urines, qui coulaient dès que sa vessie se remplissait. C’était un tournant douloureux de sa vie caractérisée par le chagrin et la stigmatisation par son entourage.
L’ampleur d’un phénomène dangereux…
Comme Amina, elles sont des milliers de mineures au Niger, victimes de mariage précoce, un phénomène encore très vivace dans les régions de Maradi et de Zinder dans le sud du pays et dans une moindre proportion celle de Tahoua dans le nord du pays. Dans nombre des cas, dès la première ou la deuxième grossesse, c’est des problèmes. Ou c’est la mort au moment du travail ou c’est la perte du bébé suivie de l’apparition d’une fistule. Rares sont celles qui ont la chance de s’en sortir indemne de l’épreuve.
Ces victimes, Fatima Bako, sage-femme et point focal fistule au Centre Mère et Enfant (CME) de Maradi, les côtoient tous les jours. Pour elle, le mariage précoce est une pratique à proscrire pour une meilleure santé maternelle.
«Le plus souvent, les filles mineures mariées tombent facilement enceinte alors qu’elles ont le bassin immature, et donc ne peuvent pas supporter une grossesse», explique Bako. Mais le problème surtout, selon elle, c’est que ces cas de grossesse ne sont pas suivis du tout ou sont mal suivis dans certains cas.
«Nous enregistrons fréquemment des cas avec des complications où le travail, qui ne doit pas dépasser 24h se prolonge pendant 48h voire 72h. Et au finish, c’est un bébé mort né dans certains cas avec à la clé une fistule » déplore la sage-femme.
Selon le ministère nigérien de la Santé en 2021, 625 cas de fistule ont été enregistrés au Niger, lesquels cas viennent grossir les 15.000 déjà recensés dans les centres de prise en charge à travers le pays.
Rien que par rapport à ce risque auquel sont potentiellement exposées les filles mineures mariées, les parents se doivent d’abandonner le mariage précoce.
Mariage précoce, un fait culturel
Si dans l’imaginaire collectif, l’on pense que le mariage précoce est une prescription religieuse, les experts, eux, parlent de phénomène culturel.
Pour Mounkaïla Idé, sociologue, «le mariage précoce est une pratique courante dans notre pays, surtout en milieu rural où le taux d’alphabétisation est encore très faible ». Il s‘agit d’un phénomène purement culturel auquel l’on tend à donner une connotation religieuse.
Outre cet aspect, le sociologue énumère aussi parmi les causes de sa forte prévalence dans le pays cette considération selon laquelle de nombreux parents surtout non instruits pensent qu’il faut marier les filles tôt pour qu’elles aient rapidement des enfants qui grandiront pour les assister dans leur vieillesse.
« Cette considération explique aussi, en partie, la forte prévalence de la polygamie et le taux de natalité élevé dans ces régions. Dans ces zones, pour nombre de couples, avoir beaucoup d’enfants est perçu comme la plus grande richesse que Dieu puisse octroyer», souligne-t-il. Elle concourt hélas aussi au maintien du fort taux de mortalité infantile qu’affiche le Niger.
Selon la Fiche des Données sur la Population Mondiale 2022 publiée par le Population Reference Bureau (PRB, basé à Washington), le taux de mortalité chez les enfants de moins d’un an est de 40 décès pour 1000 au Niger.
A la Direction régionale du ministère de la Promotion de la femme et de la protection de l’Enfant de Maradi, ce taux de mortalité infantile élevé constitue une véritable source de préoccupation.
« D’après des études menées par les services publics et des organisations humanitaires sur le phénomène, Maradi vient en tête ou en 2e position, très souvent, devant Zinder et Tahoua », souligne Maliki Malam Abdou, chef de Division protection de l’Enfance à la Direction régionale du ministère à Maradi.
« Entre janvier et mai 2022, nous avons recensé 32 cas de décès d’enfants dont les mères ont été mariées entre 13 et 14 ans », décompte-t-il, précisant que des centaines d’autres échappent à ce recensement.
Prétendu bouclier contre la débauche…
Outre les raisons pécuniaires qui justifient aussi cette propension de certains parents à marier précocement leurs filles surtout en zone rurale, il y a, du point de vue des parents conservateurs, ce souci de protéger leurs filles contre « la débauche », notamment la prostitution. Celle-ci constitue un phénomène inquiétant aussi bien pour les parents que pour les autorités.
Entre 2016 et 2017, les services de sécurité, après interpellation de 431 filles sur des lieux de prostitution, avaient révélé que 192 parmi elles étaient des mineures, selon des informations fournies par Mme Boubacar Hadiza Adamou, Commissaire de police, au journal ‘’Niger Inter Hebdo’’ en novembre 2021.
Pour réduire les mariages précoces et lutter contre la prostitution des mineures, la solution passe par l’école et par l’autonomisation économique des femmes, selon les spécialistes.
D’après les données les plus récentes du ministère nigérien de l’Éducation sur la question, les filles demeurent encore sous-scolarisées par rapport aux garçons, malgré leur supériorité numérique sur le plan démographique. En 2015, à peine 64 % des filles sont inscrites à l’école alors que leur taux d’alphabétisation était de 18,2 % contre 40,2 % pour les garçons sur la même période. Mahaman Awal, Imam à Maradi, par ailleurs directeur de l’école franco-arabe de l’Agence des musulmans d’Afrique, est convaincu que la solution passe par l’école : « la première ordonnance de Dieu à son messager en descendant son Saint Coran sur terre à travers lui, c’est ‘Ikra!’ qui signifie ‘lit!’. Cela veut dire que la quête du savoir est une chose très importante dans la vie, aux yeux du Tout Puissant », indique Awal. « Permettre aux jeunes filles d’avoir la même chance que les garçons, de faire des études poussées constitue un bienfait important pour toute communauté humaine», estime-t-il. « Cette instruction qu’il faut donner aux enfants ne se résume pas uniquement à celle dispensée par l’école des Blancs ; elle doit aussi se donner dans le domaine religieux, afin que les enfants maîtrisent dès le bas âge les préceptes de l’Islam ». Question : combien sont-ils au Niger, pays où le conservatisme religieux gagne du terrain, à penser comme l’imam Awal, dont les enseignements pourraient sortir des milliers de jeunes filles de ces pratiques ancestrales et les libérer de la « prison » des mariages précoces ?