Sale temps pour la France au Sahel. La nouvelle junte au pouvoir à Ouagadougou va-t-elle emboîter le pas à Bamako dans sa défiance vis-à-vis de l’Hexagone ? En tout cas, les remous politiques burkinabés ouvrent une nouvelle période d’incertitudes pour Niamey et Paris.
Une jeunesse en colère
Au pays des Hommes Intègres, la fièvre de la contestation populaire n’est pas retombée. Ce 4 octobre 2022, le centre-ville de Ouagadougou a été de nouveau investi par des manifestants « brandissant des drapeaux russes et criant des slogans à la gloire de Moscou », rapportent plusieurs sources. La Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la France sont les principales cibles de ces manifestants. Le week-end écoulé a été particulièrement éprouvant pour le personnel diplomatique et les ressortissants français au Burkina Faso. Le colonel Paul-Henri Damiba « se serait réfugié au sein de la base française à Kamboinsin, afin de planifier une contre-offensive », cette allégation colportée par les réseaux sociaux a provoqué un début d’incendie à l’Institut français de Bobo-Dioulasso et à l’ambassade de France à Ouagadougou. Une rumeur très vite démentie par le ministère des Affaires étrangères français selon lequel la France n’est aucunement impliquée dans les « évènements en cours ». Les jeunes Burkinabè n’en démordent pas, ils continuent de réclamer la fin de la présence militaire française dans leur pays et une coopération militaire avec la Russie.
L’ombre de Moscou
« La Russie est un État comme les autres, on est déjà en partenariat comme vous pouvez le constater (…) Dans notre armée, nous utilisons beaucoup de matériel russe », a botté en touche le nouvel homme fort du Burkina Faso en réponse à une question sur l’implication supposée de Moscou dans la défiance vis-à-vis de Paris. La hantise de la France c’est de voir le capitaine Ibrahim Traoré prendre pour modèle le colonel Assimi Goïta du Mali. C’est peu de le dire, les faits et gestes du tombeur de Paul-Henri Damiba sont scrutés à la loupe par l’Élysée. Le camp de Kamboinsin situé à proximité de Ouagadougou abrite la task force Sabre : un contingent de 400 soldats des forces spéciales françaises qui jouent un rôle déterminant dans la lutte antiterroriste au Sahel. Elles sont responsables d’une grande partie des opérations les plus périlleuses. À noter que la plupart des chefs jihadistes éliminés ces dernières années au Sahel l’ont été dans le cadre d’opérations menées par cette unité. Un basculement du régime burkinabé rend son futur incertain.
Une nouvelle période d’incertitudes
Si les putschistes entrent en négociation avec les mercenaires russes du groupe Wagner, la France va-t-elle se retirer du Burkina Faso comme elle l’a fait au Mali ? Dans ces conditions, quelle sera la terre d’accueil pour Sabre ? On imagine mal le Niger, après Barkhane, se porter candidat à l’hébergement d’une nouvelle base militaire française sur son sol. Les autorités de Niamey ne prendront pas le risque d’exacerber un sentiment anti-français de plus en plus palpable dans le pays. Absorbée à réarticuler ses forces militaires au Sahel, la France ne peut se permettre de perdre l’allié stratégique qu’est le Burkina Faso, dont la position géographique centrale est à mi-chemin entre les théâtres d’opérations militaires au Sahel et les Etats côtiers du Golfe de Guinée où la France veut étendre ses partenariats. Le renversement du colonel Paul-Henri Damiba ouvre donc un nouveau chapitre d’instabilité au Sahel et une nouvelle période d’incertitude autant pour Paris que pour Niamey. Embourbée au Sahel, en proie à une hostilité sans cesse grandissante, la France doit prier fort pour que le capitaine Ibrahim Traoré ne prenne la trajectoire malienne. Quant à Mohamed Bazoum, de plus en plus défié par une opinion publique sans cesse croissante, il n’a pas intérêt à accepter de nouvelles implantations de soldats français au Niger. Niamey croise les doigts de peur de voir Ouagadougou échapper à Paris.