A son procès à Athènes en 399 avant notre ère, Socrate, qui avait 70 ans, déclarait : « si j’avais fait de la politique, je serais mort depuis longtemps ». La politique, un métier dangereux pourrait-on dire, même si à l’époque, le vieux philosophe vivait sous un régime démocratique, le meilleur régime que la Grèce n’ait jamais connu. Et il est vrai que la vie politique athénienne était fortement marquée, chez les hommes politiques, par des extrémités telles que la perte de citoyenneté, la perte de biens, l’exil et même la condamnation à mort et pire l’assassinat.
La politique au Sahel, dont les démocraties contemporaines sont éminemment plus intégratrices que celle d’Athènes, ne parait pas moins un métier dangereux dans la mesure où l’on retrouve tous les ingrédients de la vie politique antique, les risques politiques étant même démultipliés avec la présence des groupes violents et des forces armées étrangères dans la zone. A cet égard, deux présidents démocratiquement élus, le défunt Ibrahim Boubacar Keita et Christian Kaboré, en ont fait l’amère expérience, se retrouvant longtemps dans une sorte d’exil ou de bannissement, les deux ayant perdu le pouvoir consécutivement à des coups d’Etat. Le Président Guinéen, Alpha Condé n’est pas moins en reste. Encore heureux qu’ils aient eu la vie sauve ! Au cœur de leur déchéance, l’impuissance à éteindre l’incendie terroriste qui consume terriblement leur pays, mais aussi leurs liens privilégiés avec l’ancienne puissance coloniale, dont une base militaire – Barkhane – fait partie du dispositif sécuritaire. Leurs successeurs, parvenus au pouvoir au moyen d’un coup de force, ne semblent guère non plus inspirés pour emmener à résipiscence les groupes djihadistes et instaurer un climat de paix et de sécurité significatif. Aussi, les jeunes prétoriens ont-ils, à leur tour, fait appel à d’autres puissances d’appui à la lutte contre le fléau, de sorte que, en filigrane, se joue aussi une guerre de positionnement dans la zone par les puissances extérieures, dont la France et la Russie ne sont pas les moindres. Le Mali a, ainsi, de fait, officialisé ses accointances avec le groupe russe Wagner, en raison du semi-échec de l’Opération Barkhane et sans doute aussi en souvenir de l’ancienne coopération soviéto-malienne aux premières heures de l’indépendance du pays. De surcroit, parallèlement, s’est graduellement développé et installé un sentiment anti-français et inversement pro-russe, contraignant la France à revoir sa stratégie d’occupation dans cette zone. D’où, on le sait, le repli de la force Barkhane au Niger, où depuis une bonne décennie, les autorités semblent largement partager sa politique africaine, singulièrement sahélienne. Ne manquant, comme son prédécesseur, aucune occasion pour affirmer sa proximité avec l’Elysée, le Président nigérien a, ainsi pu user d’un tour de force pour justifier l’accueil de la troupe Barkhane, aucun accord de défense clair n’existant alors entre les deux pays. Il avait en effet suffi d’une simple modification de la DPG (Déclaration de Politique Générale) du Premier ministre pour avaliser cet oukase, comme savent bien le faire les Républiques bananières.
Au regard des précédents malien et burkinabè, il y a donc lieu de se demander s’il n’a pas à cet égard pris un risque inconsidéré pour la viabilité et la stabilité de la démocratie nigérienne. Sans tomber dans la téléologie, il y a lieu tout d’abord de souligner que, à l’instar de ces pays, les forces vives en général -les jeunes en particulier- n’ont pas une bonne opinion de la France, depuis ses échecs répétés dans la zone, nonobstant les énormes moyens militaires et logistiques dont elle dispose. Aux yeux de nombreux citoyens, sa présence constituerait même une sorte de recolonisation de l’espace sahélien avec la complicité des autorités locales. Et cela surtout depuis les heurts qui, dans la zone de Téra, avaient occasionné des tirs nourris sur de jeunes manifestants. Et il y eut mort d’homme, qu’une espèce d’impunité couvrit étrangement la tragédie qui passa sous forme de pertes et profits pour l’ancienne puissance coloniale. Au nombre des griefs reprochés à la France, on peut d’une part citer, la quasi obsession des autorités autochtones à vouloir vaille que vaille rester dans le giron français à une époque où les Etats cherchent à diversifier leur partenariat tous azimuts, la persistance de la crise sécuritaire nonobstant l’appui français, et d’autre part, le manque à gagner pour le pays en matière de bien-être des populations contrairement à la visibilité de la coopération chinoise ou canadienne. Dès lors, s’est-il, comme dans les pays voisins, développé un fort sentiment anti français – comme on peut le constater dans les manifestations publiques de la société civile et sur les réseaux sociaux. Déjà écornée, l’image de la France s’est significativement dégradée dans la sous-région, notamment au Niger.
Dans cette mesure, le forcing de Bazoum Mohamed à donner un territoire à Barkhane tendra immanquablement à nourrir cette hostilité vis-à-vis du gouvernement français à l’occasion des marches et meetings de la société civile et sur la toile sahélienne. Loin d’être une sinécure, il s’agit plutôt d’un risque de défiance du sentiment général, au mieux d’un excès de confiance politique. Il pourrait, en cela y avoir des risques d’explosion populaire pour peu que l’exacerbation de la colère monte d’un cran ou qu’un évènement malheureux impliquant les forces françaises survienne. N’évoluant guère en vase clos, mais au contraire, bien intégrées à la population, les forces armées ne reçoivent pas moins les contrecoups des évènements sociaux et politiques qui se déroulent dans la société. Les jeunes prétoriens en particulier, portés sur les réseaux sociaux et observateurs attentifs des changements politiques dans la sous-région, pourraient être tentés de croire que la louve française est dans la bergerie sahélienne et qu’il y a lieu de lui mener opportunément la chasse. D’où l’impératif pour le Président de cesser de suivre aveuglement les pas de son prédécesseur, en cultivant sa différence sur nombre de problématiques et d’approches qui avaient alors miné la popularité de Mahamadou Issoufou. Il y va de la préservation et de la pérennisation du cadre démocratique nigérien. n