Le nommé Gaoussou Moud’ ha est un marabout domicilié à Toudoun Faïla, une bourgade située dans la commune rurale de Guéchémé (département de Tibiri – Doutchi). Outre le travail de la terre, l’homme prêche la Parole de Dieu, rien que la Parole de Dieu, c’est-à-dire le contenu de la Révélation divine. Ses prêches sont une invitation très forte à écouter la Parole de Dieu dans le sens complet de ce verbe, c’est-à-dire l’entendre, la lire, la célébrer, la méditer.
On ne lui connait pas d’activité illicite ou subversive. Pourtant, à la mi-mars 2023, un important détachement de forces de sécurité armé jusqu’aux dents débarque à Toundoun Faïla à bord de plusieurs véhicules. Ce détachement serait-il sur les traces d’un dangereux terroriste ? Non. Le domicile du marabout est rapidement cerné et fouillé de fond en comble. Mais rien de répréhensible n’y sera trouvé. L’homme de Dieu est interpellé, comme un dangereux terroriste, et transféré à Niamey.
Un député à la manœuvre ?
Le marabout sera gardé dans les locaux de la brigade de recherche de la gendarmerie pendant plus de deux mois, sans droit de visite. Lorsque la justice est alertée au sujet de cette arrestation extrajudiciaire, on lui répond que ce sont des ordres venus d’en haut. Du Haut commandement de la gendarmerie nationale ? De la DGDSE (service de renseignement extérieur) ? Du Ministère de l’Intérieur ? Du Ministère de la Défense ? De la Présidence de la République ? Selon une source sécuritaire, l’arrestation du marabout ne serait pas en lien avec le terrorisme. Si ça avait été le cas, il serait détenu dans les locaux de la police antiterroriste. Selon une source judiciaire proche du dossier, un député de la zone de Doutchi serait la cause des ennuis du marabout Gaoussou Moud’ ha.
Un ordre manifestement illégal
Quelles que soient les raisons de l’interpellation du marabout, nous sommes en présence d’un cas d’ordre manifestement illégal. D’après l’article 71 du code de procédure pénale (Loi n° 2003-26 du 13 juin 2003), « si, pour les nécessités d’une enquête, un officier de police judiciaire est amené à garder à sa disposition une personne contre laquelle existent des indices de culpabilité, il ne peut la retenir plus de quarante-huit heures. Passé ce délai, il doit la relâcher ou la conduire devant le Procureur de la République. Toutefois, le procureur de la République peut accorder l’autorisation de prolonger la garde à vue d’un nouveau délai de quarante-huit heures. Il est notifié au suspect son droit de prendre un avocat à partir de la 24ème heure de la garde à vue sous peine de nullité de la procédure. Ce délai commence à courir à compter de l’interpellation. » Nous sommes également en présence d’une violation flagrante de la présomption d’innocence qui est un principe de justice : avant qu’une accusation n’apporte la preuve de sa culpabilité, un individu est considéré comme innocent. Autrement dit, un individu suspecté d’une infraction, d’un crime ou d’un délit ne peut être considéré comme coupable avant d’en avoir été définitivement jugé comme tel par un tribunal. Il faudra que le président Mohamed Bazoum soit saisi du cas de ce marabout pour que sa situation puisse se décanter un peu.
Déferrement au Parquet
Le mercredi 31 mai, le marabout est déféré au parquet près le TGI/HC/Ny. Le pôle judiciaire spécialisé en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale est saisi. Il est reproché au marabout des pratiques esclavagistes, de la traite de personnes et des mariages contractés hors les cas prévus par la loi et par la coutume islamique. Le mis en cause est accusé d’avoir 78 épouses. Il ne le nie pas et soutiendra que nulle part, dans le Coran ou dans les hadiths, il est évoqué une limitation du nombre d’épouses. Concernant les autres accusations, il les rejette également. Il dira notamment que ses talibés lui ont été confiés par leurs parents pour apprendre le Coran et qu’il n’a retenu personne contre son gré. Le marabout et ses milliers d’adeptes forment tout un village, nourri par lui (pas moins de 7 sacs de riz par jour). Et tout naturellement, ces talibés prêtent mains fortes au marabout dans les activités champêtres. Nous sommes en présence d’une affaire un peu surréaliste. Peut-être que le parquet devrait demander un examen psychiatrique du mis en cause. Pour l’heure, le marabout Gaoussou Moud’ ha médite sur son sort à la prison de Kollo. Affaire à suivre…