Le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), la junte militaire qui a renversé le président Bazoum Mohamed, mercredi 26 juillet 2023, a justifié son intrusion dans l’arène politique par la mauvaise gestion de la crise sécuritaire et la malgouvernance économique et financière du pays. Pour Dr. Souley Adji, l’insécurité a atteint son pic sous le règne Issoufou, l’insuffisance de résultats dans la lutte contre le terrorisme ne saurait donc être imputée à son successeur. L’enseignant-chercheur, qui a aussi évoqué les sanctions qui commencent à s’abattre sur notre pays, se demande si la junte est en mesure de mettre en place des stratégies de résilience pour surmonter les difficultés.
L’Enquêteur : Depuis vendredi, le putsch est consommé avec l’officialisation du nom du chef de la junte qui se trouve être Tiani Abdourahamane, chef de corps de la garde présidentielle. Le protecteur du président qui renverse celui qu’il doit protéger, n’est-ce pas une surprise?
Dr. Souley Adji : Dans ces conditions, on parlerait plutôt de trahison, puisque nonobstant les réserves émises à son encontre par ses proches, le président Bazoum avait malgré tout tenu à lui renouveler sa confiance. Pas seulement politiquement, mais humainement et religieusement même, une telle posture est répréhensible. Mais, il arrive que certains individus n’aient pas d’état d’âme à cet égard et ne s’embarrassent point d’aller à cette extrémité. Le précédent était ce qu’à l’époque, on avait appelé le “wankage”, lorsque Daouda Malam Wanké, un proche du chef de l’État, le Général Baré, avait brutalement mis fin au pouvoir qu’exerçait ce dernier. Dieu merci, cette fois, le président a la vie sauve, mais il s’agit bien d’une trahison. Un pouvoir acquis dans ces conditions prospère difficilement. On peut donc parler de véritable surprise dans la mesure où l’on ne saurait aucunement s’attendre à un telle prise en otage d’abord et de confiscation du fauteuil présidentiel par celui-là même qui était censé assurer sa sécurité et son intégrité physique ainsi que celles de sa famille. Cela d’autant plus que le contexte socio-économique et politique n’y était guère propice. L’on ne pourrait donc qu’y voir des raisons strictement personnelles pour évincer de son fauteuil le président en fonction.
La junte a justifié son intervention par le manque de résultats probants dans la lutte contre le terrorisme et la mal gouvernance économique et sociale. Au sein de l’opinion, l’on pense que les vraies raisons n’ont pas été dites? Êtes-vous de cet avis?
Franchement, c’est ridicule ! Ce n’est pas au moment où l’on observe une embellie économique par rapport aux mandats précédents que le témoin oculaire et auditif de cette tendance va chercher à y mettre un frein. Sur le plan sécuritaire même, alors chef d’État-major des armées, le Général Modi, avait publiquement reconnu une nette amélioration par rapport à la situation antérieure. Certes, beaucoup restait à faire, mais le pic de l’insécurité remontait quand même aux années Issoufou, de sorte que son successeur ne saurait y être comptable. Or, l’on n’avait point vu poindre une intervention militaire destinée à arrêter la descente aux enfers. C’est dire que d’autres raisons, non explicitées doivent probablement prévaloir pour expliquer l’intrusion du corps de la garde présidentielle dans l’arène politique. D’aucuns ont parlé de refus d’aller à la retraite comme tout fonctionnaire atteint par la limite d’âge, d’autant plus que certains l’ont déjà dépassée depuis longtemps. D’autres évoquent une sorte de sous-traitance du coup, mais ce ne sont là que pures supputations. La réalité est que le Niger a depuis les années 1970 développé une culture de militaires – politiciens comme les appelle mon ami Tidjani Alou, politique bien connu. Cette catégorie de soldats se considèrent largement comme des politiciens dans l’âme voire qu’ils feraient mieux que les civils. Ils aspirent à être politiciens en même temps que militaires, montrant ainsi une duplicité malveillante et même la crainte de la peur du lendemain. Tels ne furent par exemple pas les cas des colonels Moumouni Djermakoye et Tandja, lesquels sans ambiguïté aucune déposèrent carrément l’uniforme pour embrasser une carrière d’hommes politiques voire d’hommes d’État. Il faut dire que, eux, avaient de la sagesse et l’intelligence pour comprendre que l’armée ne devrait point se mêler de politique, notamment en démocratie. Ils avaient une haute estime de l’armée pour lui imputer tous les errements commis par des soldats sortis de ses rangs. Leurs cadets, eux, semblent développer un certain complexe à se soumettre aux autorités civiles républicaines tout simplement parce qu’ils disposent de la force armée. Aussi, voient-elles en elles des rivaux dans l’accès aux hautes fonctions de l’État, au point d’entreprendre des coups d’État. C’est la thèse développée notamment par le politologue ghanéen Hutchful Eboe. L’on saura certainement un jour les véritables motifs de la volte-face du chef de corps de la garde présidentielle, mais pour l’heure, il est clair qu’il y a certainement anguille sous roche.
Comme il fallait s’y attendre, les condamnations et autres menaces de sanctions continuent de fuser de la communauté internationale. Même scénario qu’au Mali et au Burkina Faso. Cette pression peut-elle contraindre la junte à faire machine arrière comme le souhaite la communauté internationale?
Étant donné l’importance géostratégique et politique du Niger, les sanctions de la communauté régionale et internationale ne seront encore que plus fortes par rapport au Mail et au Burkina. D’ores et déjà, à voir la nomenclature des sanctions prévues par l’UEMOA en cas d’entêtement de la junte, aucun régime ne pourrait tenir assez longtemps. Pays dépendant largement de l’aide extérieure, y compris budgétaire, le Niger saura difficilement cultiver une résilience à toute épreuve pour faire face aux défis relatifs à la sécurité, aux secteurs sociaux voire au paiement régulier des salaires. Surtout, quand en appliquant de panier de représailles, la NEPA interrompra la fourniture de l’énergie électrique, nombre d’entreprises mettront la clé sous la porte, le chômage se développera, d’autant plus que le gouvernement lui-même sera interdit de toutes transactions financières. La situation socio-économique n’était pas des meilleures sous le régime évincé, mais il est à craindre qu’elle s’empirera une fois que la CEDEAO et l’UEMOA auront actionné ces dispositifs sévères. Dans la mesure où l’on ne peut gouverner convenablement un État sans ressources, il est fort à craindre, qu’une fois l’euphorie actuelle passée, les membres de la junte ne se ravisent et comprennent qu’ils risquent eux-mêmes d’être évincés faute de résultats. N’était-ce pas cela qu’ils avaient reproché aux autorités déchues du pouvoir ?’’
Propos recueillis par I. Seyni
“C’est dire que d’autres raisons, non explicitées doivent probablement prévaloir pour expliquer l’intrusion du corps de la garde présidentielle dans l’arène politique.”