Ces dernières années, l’Etat du Niger a été régulièrement cité devant la Cour de justice de la CEDEAO par des justiciables nigériens pour des questions de non-respect des droits humains, et condamné à verser des dommages importants. Ce 17 mai 2023, une requête aux fins de procédure en abrégée d’urgence a été introduite auprès de la Cour de justice communautaire par un jeune opérateur économique via son avocat. De quoi s’agit ?
La société Belco Afrique
Le 15 février 2022, le jeune commerçant nigérien, prénommé Adamou, signe un protocole d’accord avec un ressortissant tchadien du nom de Kessou en vue de la création d’une société commerciale d’import et de vente d’huile de moteur dénommée Belco Afrique. Pour ce faire, le Tchadien met sur la table un apport de 350 millions de francs CFA. Comme la société marche bien, Kessou propose par la suite de faire un nouvel apport de 1 milliard de francs CFA. Mais Adamou décline l’offre, soupçonnant son partenaire de vouloir devenir l’actionnaire majoritaire de la société, donc de contrôler Belco Afrique. C’est la rupture entre les deux partenaires. Adamou s’engage alors à rembourser l’apport déjà versé après la vente d’une importante commande d’huile de moteur. Mais Kessou semble impatient, il assigne son désormais ex-partenaire d’affaires devant le Tribunal de Commerce de Niamey. Et il n’entendait pas en rester là.
Le Parquet entre dans la danse
Alors que la procédure devant le Tribunal de Commerce suivait son cours normal, Kessou saisit le procureur du TGI/HC de Niamey d’une plainte pour escroquerie et blanchiment de capitaux. Très vite, Adamou est inculpé de ces faits et placé en détention par le juge d’instruction saisi du dossier. Le 20 février 2023, l’avocat de Adamou introduit une demande de liberté provisoire sous caution en déposant au greffe trois (3) actes de cession d’immeuble expertisés à la somme de 328 millions de francs. Tout naturellement, le juge d’instruction fait droit à la requête de l’avocat et ordonne la remise en liberté provisoire de son client. Alors que le Parquet n’a pas fait appel de cette décision, Adamou va continuer, curieusement, à garder prison. Avait-on refusé de signer son ordre de libération ? Si oui, pourquoi ? L’avocat estime que son client est maintenu en détention sans base légale. Il se tourne alors vers le juge des référés du tribunal, mais celui-ci se déclare incompétent.
La Cour d’appel dit le droit
Le 4 mars 2023, le sieur Adamou, assisté de son conseil, a attrait devant le juge des référés l’Etat du Niger, représenté par l’Agence judiciaire de l’Etat et assisté d’un avocat, aux fins de s’entendre notamment constater que le détenu l’est sans base légale, que l’Etat viole les droits à la liberté, à la sécurité et à la sureté du requérant. Adamou sollicite l’annulation de l’ordonnance attaquée pour violation de l’article 459 du code de procédure civile, des articles 2 et 6 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, des articles 3 et 9 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, des articles 9 et 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et de l’article 18 de la Constitution. Dans la décision de référé qu’elle a rendu le 17 mai, la Cour d’appel a, entre autres actes, annulé l’ordonnance attaquée pour violation de la loi, constaté que le sieur Adamou a bénéficié d’une mise en liberté provisoire du juge d’instruction en date du 03/03/23, que le procureur de la république n’a pas relevé appel de ladite ordonnance, constaté que le sieur Adamou est détenu sans titre de détention. La Cour a par conséquent ordonné la cessation du trouble manifestement illicite créé par sa détention, ordonné sa libération immédiate sauf s’il est détenu pour autre cause, ordonné l’exécution provisoire de la décision sur minute et avant enregistrement, et condamné l’Etat du Niger aux dépens.
La justice inquiète
Malgré cette décision de la Cour d’appel qui ne souffre d’aucune ambiguïté, le sieur Adamou continue de garder prison en violation de la loi. Comment comprendre que des acteurs judiciaires puissent refuser d’exécuter des décisions de leur propre institution ? Quelle image voulaient-ils renvoyer de cette justice ? Le code pénal est clair en ce qui concerne la résistance à l’exécution d’une décision de justice. Son article 196. 1 dit : « Quiconque aura résisté ou tenté de résister à l’exécution d’une décision de justice devenue définitive ou exécutoire sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans et d’une amende de 10.000 à 100.000 francs. » Quant à l’article 196. 3, il dit : « Tout dépositaire de l’autorité publique qui aura refusé de prêter main forte lorsqu’il en sera régulièrement requis pour l’exécution d’une décision de justice devenue définitive ou exécutoire sera puni d’un emprisonnement de 6 mois à 2 ans et d’une amende de 10. 000 à 20. 000 francs ». En portant cette affaire devant la Cour de justice de la CEDEAO, par le refus de certains agents publics d’exécuter une décision de justice régulièrement rendue, c’est l’image de l’Etat du Niger qui prend un coup. Affaire à suivre…