26 juillet 2023 – 26 octobre 2023, cela fait exactement trois mois que le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), dirigé par le général Abdourahamane Tiani, préside aux destinées du Niger. Quel bilan peut-on tirer de ces trois mois d’exercice du pouvoir par les militaires ? Voici le point de vue citoyen d’un homme politique, Maman Sani Malam Maman, Secrétaire général du Moden – FA Lumana Africa.
« Trois mois dans la vie d’une nation, ce n’est pas grand-chose, mais dans la vie des hommes ça compte. Il faudrait peut-être rappeler le contexte de départ. Les événements du 26 juillet ont eu lieu dans un contexte de doute, peut-être de désespoir. Depuis les élections générales de 2020 – 2021, le peuple nigérien s’est retrouvé dans une situation institutionnelle extrêmement délicate. Il n’est pas utile de rappeler ce contexte, mais signalons au passage deux faits. Le premier, c’est que cette prétendue dévolution démocratique du pouvoir s’est passée sur fond d’un hold-up électoral sans précédent. C’était une arnaque visible et manifeste, Mahamadou Issoufou l’a préparée et l’a exécutée alors même que l’ensemble de l’opinion nationale et internationale en était averti. Le deuxième fait marquant, c’est par rapport au changement qui était attendu. Tout le monde pensait qu’enfin débarrasser des méthodes de gouvernance de Mahamadou Issoufou, le peuple nigérien pourrait mieux respirer, voir s’ouvrir à lui d’autres perspectives d’autant plus que non seulement ça nous faisait dix ans d’exploitation de pétrole mais nous étions également à quelques mois de la mise en exploitation du pipeline vers le Bénin qui devrait multiplier les possibilités de recettes, donc de capacités d’action de l’Etat. Malheureusement, ça a donné tout le contraire. D’alternance, nous nous sommes retrouvés en face de la ‘’Renaissance 3’’ qui n’est que le prolongement en profondeur, et en terme négatif, des ‘’Renaissance 1 et 2’’. Nous nous sommes donc retrouvés dans une situation de quasi impasse, deux pôles du pouvoir étant en présence : le pouvoir dit sortant, demeuré aux commandes, et le pouvoir entrant qui se trouvait dépourvu des capacités réelles de décision. C’était là le contexte d’avant 26 juillet 2023.
C’est avec un grand soulagement que le peuple nigérien a accueilli les événements du 26 juillet, au regard de la gouvernance chaotique du PNDS – Tarayya. Le contexte politique, économique et social que j’ai décrit est extrêmement handicapant. Peut-être qu’il n’a pas permis aux nouvelles autorités militaires, très vite, de pouvoir relancer la machine sur le plan sécuritaire, sur le plan économique, sur le plan social… Avec la prise du pouvoir par les militaires le 26 juillet, on savait qu’on n’allait pas recevoir des fleurs de la part de la CEDEAO, de la communauté internationale, encore moins de certaines puissances qui se voyaient ainsi handicapées dans leur boulimie à vouloir toujours asservir le peuple nigérien. De ce point de vue, je crois que ces 90 jours ont été des jours de réveil du patriotisme nigérien. C’est quelque chose de très positif. Peut-être que le sens de la citoyenneté, le devoir de citoyen vis-à-vis de la nation particulièrement en termes de défense de la patrie nous avaient manqué un peu. Positif également en termes de capacité de mobilisation populaire, il y a là aussi un acquis positif qu’il convient de cultiver et d’amplifier pour que ça serve toujours le pays. Positif encore en termes de prise de conscience de la nécessité de préserver et de lutter pour que le Niger soit un pays souverain, maître de ses décisions, de sa destinée. Des grands pas ont été réalisés. Parallèlement, il eut fallu relancer la machine économique. Sur le plan de notre politique extérieure, il faut très vite passer à l’offensive. A certains de nos voisins, il aurait fallu répondre du tac au tac, intérêt contre intérêt. Lorsqu’un voisin avec qui vous partagez la même organisation régionale de développement va jusqu’à ouvertement vous couper vivres, médicaments et menacer militairement de vous envahir, je crois qu’il n’y a pas lieu de mettre des gants. Il eut fallu élever le ton. Le devoir citoyen de préservation de notre souveraineté aurait commandé que les réactions soient beaucoup plus musclées. En matière de protection des intérêts des Nigériens, là également il eut fallu très vite mettre un dispositif d’organisation de manière à ce que la situation, qui n’était déjà pas brillante, ne se détériore pas : le pouvoir d’achat, la circulation des ressources… Il y a aujourd’hui beaucoup de mécanismes étatiques et extra étatiques qui peuvent permettre à un peuple comme celui du Niger de pouvoir tenir debout. Des mesures doivent être prises pour que l’orientation donnée à la marche à suivre puisse être un peu plus visible ; de ce point de vue, ça a pris trop de temps.
Ce n’est pas perdu, mais il faut aller un peu plus vite, dans trois directions. La première, il faut imprimer le changement institutionnel. Ce n’est pas à nous de dire aux militaires que quand on conquiert un terrain, il faut l’occuper. Il en est de même de la gestion de l’Etat. Deuxièmement, en termes d’assainissement, il faut que les Nigériens sachent que ça a changé. D’abord pour ceux-là qui ont été changés. Les lois de la République doivent leur être appliquées dans toute leur rigueur et dans toute leur amplitude. Ce n’est pas le cas, et ce n’est pas bon parce que ça pourrait être dangereux. Troisièmement, dans le cadre de la nouvelle vision, il faut rapidement prendre des dispositions afin que les organes qui doivent prendre le relais des anciennes institutions soient mis en place, qu’un dispositif de réflexion et de réorganisation de l’Etat puisse se mettre en place pour qu’effectivement nous puissions aller dans la direction de la traversée pour chuter dans la VIIIème République à temps opportun. Il faut passer aujourd’hui à la vitesse supérieure.
Au-delà du réveil du patriotisme et de la citoyenneté, deux enseignements peuvent être tirés. Le premier, il est externe. C’est du point de vue des relations du Niger et de son appartenance à un certain nombre d’organisations régionales et sous-régionales. Les Nigériens ont été stupéfaits de constater que ces organisations dont le Niger est membre se sont réveillées un matin pour nous couper vivres, médicaments, électricité et menacer de nous envahir. Il y a donc là une grande réflexion à laquelle le Niger doit se livrer, surtout vis-à-vis de certains de nos voisins qui sont allés jusqu’à oublier que nous sommes importants pour eux. Le Niger a des intérêts et il doit être prêt à les défendre. Le deuxième enseignement, c’est notre dépendance vis-à-vis de l’extérieur et notamment dans le domaine de l’énergie électrique. C’est une honte nationale, nous avons tous pêché. Et il faut rapidement y remédier, le Niger étant un pays producteur d’uranium, de pétrole, de gaz, de charbon, et dispose de soleil. Si la transition devrait régler un problème, c’est bien cette question d’énergie électrique. Autre urgence non négligeable, le processus qui est enclenché, c’est-à-dire l’affirmation de notre souveraineté nationale, la seule voie qui va nous permettre d’être utiles à nous-mêmes, à l’Afrique et au reste du monde. »