La fermeture des frontières terrestres des pays membres de la CEDEAO – à l’exception de celles du Burkina Faso et du Mali rebelles – suite au putsch qui a renversé le président Bazoum le 26 juillet 2023 s’est traduite par un blocage systématique des marchandises à destination du Niger au port de Cotonou. Pour Elhadj Sani Chékaraou Garo, président du collectif des syndicats des commerçants nigériens, il s’agit là d’une décision ‘’illégale et inique’’ qui sera attaquée devant les juridictions compétentes si les autorités béninoises ne se ravisent pas.
L’Enquêteur : Le Niger est sous embargo de la CEDEAO depuis le 30 juillet 2023, suite au coup d’Etat militaire qui a renversé le président Mohamed Bazoum 4 jours auparavant. Comment appréciez-vous ces sanctions économiques et financières contre notre pays, en tant que président du collectif des syndicats des commerçants du Niger ?
Elhadj Sani Chékaraou Garo : L’embargo de la CEDEAO contre notre pays est très sévère, ce sont des mesures illégales qui visent à asphyxier notre pays et le peuple. Mais plaise à Dieu, nous sommes sereins, nous ne sommes pas paniqués, parce que nous sommes dans le droit chemin. En tant que commerçants, nous sommes surtout gravement affectés par la fermeture du port du Bénin et le blocage de nos marchandises. Nous tenons à faire savoir aux autorités béninoises actuelles que ce port de Cotonou a une histoire, qu’elles ne peuvent pas effacer d’un revers de main. Sa création est le fruit d’une entente entre le regretté président Diori Hamani et son homologue béninois d’antan Hubert Maga. Et c’est pourquoi il s’appelait au départ le port du Niger. Il y a d’autres ports aussi comme celui de Lagos, de Cotonou, de Lomé, d’Accra, d’Abidjan, mais Cotonou est un port d’héritage que nous avons voulu garder. C’est à cause de ce lien historique que nous faisons acheminer nos marchandises à Cotonou. Par conséquent, les autorités béninoises n’ont pas le droit de bloquer nos marchandises du fait du putsch militaire intervenu le 26 juillet 2023 dans notre pays. Le faire sans crier garer, c’est vouloir que les Nigériens meurent de faim, cela n’arrivera pas, Incha Allah !
Mais qu’est-ce qu’elles auraient dû faire alors, tout en restant dans le cadre des sanctions de la CEDEAO ?
Les autorités béninoises auraient dû d’abord analyser froidement les implications des sanctions avant de les appliquer systématiquement. A partir du moment où l’armée a déjà pris le pouvoir, nous allons mettre en œuvre les sanctions de la CEDEAO, la réflexion qu’elles devraient avoir est la suivante : comme leurs marchandises sont déjà arrivées dans des bateaux et n’ont pas encore été débarquées, que d’autres marchandises sont dans nos entrepôts, attendons d’abord que les commerçants nigériens sortent leurs marchandises avant d’appliquer la mesure de blocage. Et lorsque que l’embargo sera levé, qu’ils reviennent s’ils le souhaitent. C’était ça la bonne démarche ! Mais elles ne peuvent pas bloquer nos marchandises et nous dire de patienter. S’ils ne libèrent pas nos marchandises, nous allons porter plainte contre les autorités béninoises où il le faut dans le monde, pour qu’elles sachent l’illégalité de leur décision. Nous n’avons aucun grief contre les chefs traditionnels, les Oulémas et la population du Bénin, ils sont tous mécontents des sanctions infligées à notre pays au regard des liens séculaires qui nous unissent. C’est pour cette raison que nous manœuvrons doucement. Nous avons adressé une première correspondance aux autorités portuaires du Bénin, elles n’ont pas réagi. Le mardi 8 août dernier encore, nous leur avons adressé une autre correspondance. Si elles ne nous répondent pas d’ici le lundi prochain, une délégation de notre syndicat va se rendre à Cotonou pour les rencontrer et leur dire ce que nous pensons de leur comportement. Si nous ne trouvons pas une issue de sortie de crise, nous saurons alors quelles dispositions prendre. Les commerçants ont pour vocation d’aller chercher des marchandises pour vendre aux populations. Ça veut dire que c’est au peuple Nigérien que la CEDEAO s’en est pris.
Du fait de ces sanctions de la CEDEAO, les prix de tous les produits connaissent actuellement une flambée sans commune mesure. N’est-ce pas inquiétant cette situation ?
Nous sommes conscients que les populations souffrent du fait de cette situation. Mais nous avons foi en Dieu et nous savons que c’est lui qui fait et qui défait. Plaise à Dieu, la faim ne tuera pas un Nigérien du fait de l’embargo de la CEDEAO. Nous allons explorer tous les voies et moyens pour faire rentrer les marchandises dans notre pays. Seulement nous tenons à dire aux autorités béninoises, si elles persistent dans l’application des sanctions, alors nous allons boycotter pour longtemps le port du Bénin. En plus nos marchandises qui sont bloquées là-bas, celles qui ont été débarquées des bateaux et sont placées sous gardiennage comme celles qui sont dans les bateaux et pour lesquelles on calcule chaque jour des frais, nous ne sommes pas d’accord avec ça ! Nous ne payerons pas les frais. C’est à elles de le faire parce que ce sont elles qui ont bloqué nos marchandises.
C’est une insulte à l’endroit des commerçants nigériens. Nous sommes les mêmes avec les Béninois, c’est la raison pour laquelle nous avons décidé d’aller doucement. Mais après analyse de la situation, nous avons compris que ce sont les chefs d’Etat de la CEDEAO qui en sont responsables, parce qu’ils se sont rangés derrière les Occidentaux qui nous ont colonisés pendant un siècle après l’esclavage et sont encore là pour dicter leur volonté à nos gouvernants.
Quelles sont vos attentes concrètes vis-à-vis du CNSP ?
Nous sommes très divisés aujourd’hui. Nous voulons que la junte militaire s’inspire de la politique du regretté chef de l’’Etat, Seini Kountché, consistant à promouvoir et consolider le brassage ethnique et culturel dans notre pays. Il faut que les militaires qui ont pris le pouvoir créent les conditions de l’entente, la fraternité et la cohésion entre tous les filles et fils du Niger. Nous ne connaissons pas l’insécurité, nous ne connaissons pas la haine entre nous et vis-à-vis des peuples voisins, qui sont tous contre les sanctions qui ont été imposées à notre pays. C’est une décision de la CEDEAO, qui a menacé d’envoyer des troupes militaires dans notre pays pour restaurer l’ordre républicain par la force. Mais plaise à Dieu, rien ne va se passer. Il est difficile d’agresser militairement le Niger et réussir facilement l’opération, C’est un bluff, ils ne viendront pas ; car ils savent, eux-mêmes, que ça ne sera pas une promenade de santé !
Propos recueillis par I. Seyni