Il est vrai qu’une campagne nationale pour promouvoir une nouvelle loi fondamentale peut être conduite sans l’implication directe des formations politiques. Voire même malgré leur désapprobation éventuelle, si les articles contenus dans la Constitution n’emportent pas leur adhésion pleine et entière. Cela s’est vu sous d’autres cieux, en des circonstances similaires. Mieux encore, un nouvel ordre constitutionnel s’est parfois établi et a perduré, au prix de concessions plus ou moins importantes aux opposants politiques, aux syndicats et à la société civile. Mais que vaut un régime, en ce 21eme siècle, qui se complairait dans un totalitarisme obsolète ? Il s’aventurerait dans des chemins jonchés de chausse-trappes, et surtout, conduisant irrémédiablement à l’isolement, et donc, in fine, à l’échec de ses nobles projets initiaux. Ce que veut le Peuple, nous croyons le savoir dans les grandes lignes. Ce que veulent nos prétoriens, nous le savons par pure intuition. Et nous savons aussi que les deux postures ne sont pas irréconciliables.
Soit dit en passant, ne croyez pas que vous soyez plus patriotes que certains de nos compatriotes bloqués à l’extérieur. Beaucoup sont de vils vendus certes, mais certains aussi ont été trompés ou entrainés à leur corps défendant, dans un manège dont ils n’avaient aucun contrôle.
Procès d’intention
On entend, ici et là, avec aplomb, que les militaires veulent écarter les partis politiques, de la bouche même de certains analystes réputés impartiaux, si tant est que cela dans les circonstances actuelles revêt un sens. Disons simplement que des observateurs lucides, d’une subjectivité désintéressée, affirment que les trois (3) pays de l’AES auraient opté pour une plongée, dans un système totalitaire (fasciste, communiste, ou anarchiste), réduisant les activités des partis politiques à la portion congrue. Ou alors, en les interdisant arbitrairement.
Quand on a pour ambition majeure de refonder une nation, il va sans dire, qu’il faudra non seulement du temps, mais aussi une poigne de fer, pour mener à bon port cette révolution. Car c’en est une, sans équivoque. La désinformation propagée par les contempteurs farauds des patriotes aux commandes dans nos Etats brandit la crainte d’une dictature rampante. Pourquoi être si pressés ? Nous sommes sous un régime d’exception, et pourtant, la majeure partie de nos libertés fondamentales (formelles) sont préservées. Les droits de l’Homme sont respectés, nul n’en doute. Ailleurs, en d’autres temps, ce serait le cadet des soucis de ceux qui, risquant leur vie, ont perpétré un putsch. Il n’y a que l’interdiction des activités des partis politiques, qui fait tache au tableau. Pour le moment.
Hic et nunc (ici et maintenant)
Si l’on se fie à la dialectique Hegelienne, basée sur celle de la maïeutique de Platon, et que Engels et Marx affineront, nous vivons aujourd’hui, sur cette planète, au stade d’une synthèse, celle du capitalisme et du marxisme révolutionnaire. Et l’on sait que cette synthèse devenant en fait, une thèse, finira par secréter sa propre antithèse, et ainsi de suite, ad vitam aeternam. Karl Marx, avec son matérialisme dialectique, visait une société démocratique, sans classes, détentrice des grands moyens de production. Toute l’idéologie de la gauche est là, et s’oppose frontalement à la primauté de l’individu sur la collectivité, prônée par le capitalisme à visage inhumain, parfois. Les USA et la Chine populaire, les deux plus grandes puissances de la Terre sont là, pour illustrer l’aboutissement des deux concepts. Nos trois (3) têtes pensantes de l’AES n’arrivent pas, semble-t-il, à tirer toutes les conséquences des options fondamentales, qu’elles ont unifiée. Un facteur de division reste latent, du fait de cette indécision. Tant il est vrai qu’il n’y a pas de rose sans épines et que l’on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Un choix s’impose avec le plus grand discernement. Si l’on veut protéger, vaille que vaille, toutes les vertus de la démocratie de type libéral, l’entreprise est vouée à l’échec. Sans rémission. Et l’on ne peut pas aussi, comme dans la Rome antique, nommer un Dictateur, ayant des pleins pouvoirs temporaires, face à une situation exceptionnelle. Du moins, sans y mettre les formes et l’encadrement requis. D’où la nécessité absolue de permettre l’existence des portes voix du peuple (les partis politiques) dans le processus envisagé. C’est la seule voie pour acquérir une légitimité incontestable.
Légitimité et légalité
Bien sûr, il y a la démocratie et les droits de l’Homme (formels par moments). Bien sûr, il y a la bonne gouvernance qui reste une préoccupation majeure. Et nous ne pouvons négliger les épineux problèmes qui ont trait à notre sécurité, à tous. Mais, par-dessus tout, c’est la souveraineté nationale qui apparait comme but ultime des prétoriens qui ont pris le pouvoir à Niamey, le 26 juillet 2023. Le Mali et le Burkina Faso, les alliés de l’AES, sont sur la même longueur d’onde. Prééminence absolue, à la souveraineté, et pas aux états d’âme des dirigeants des partis politiques, embusqués dans les allées du pouvoir. Si la classe politique est consciente de la noblesse des objectifs clamés, et parvient à se délivrer elle-même de ses attaches exogènes sulfureuses ou nocives, il n’y a pas de raison, que les efforts conjugués des prétoriens et politiciens ne suivent pas la même courbe ascendante. Soyons clair : appelons un chat un chat. Les représentants, dûment élus du Peuple, détiennent la légitimité. Les prétoriens, par la force armée, détiennent la légalité. Les deux concepts doivent se conjuguer. Cela passe par l’érection d’un Conseil National de Transition Inclusif, qui peut s’accorder les prérogatives d’une Assemblée Constituante. Celle-ci, de plein droit, peut donner des pleins pouvoirs aux militaires pour un temps déterminé. Au bout du délai accordé, elle peut se réunir derechef, de plein droit, et adopter de nouvelles orientations. Les partis politiques ont-ils l’esprit assez ouvert, ou patriote, pour adhérer à cette solution audacieuse ? Dieu seul le sait.