Les alertes se multiplient ces derniers mois sur la dégradation de la situation humanitaire à Assamaka [localité nigérienne frontalière avec l’Algérie à 15km d’Agadez] du fait de l’arrivée massive de migrants expulsés de l’Algérie. Cette bourgade, qui comptait à peine 1500 habitants, refuse aujourd’hui du monde.
Du début de l’année au 15 mars 2023, sa population s’est démultipliée avec l’arrivée de ‘’plus de 9668 migrants de diverses nationalités, expulsés de l’Algérie par convois officiels et non officiels’’, a alerté l’ONG Alarme Phone Sahara (APS). Selon une source sécuritaire en poste dans la localité que nous avions contactée au téléphone, ‘’les flux continuent encore d’arriver alors que la pression est déjà intenable tant sur le plan des infrastructures d’accueil que sur celui de l’accès à la nourriture et aux soins de santé’’.
Fin 2022, les autorités algériennes avaient renvoyé près de 25.000 migrants en direction de la localité et depuis les vagues de migrants qui viennent grossir la population n’ont plus cessé. Entre janvier et mars 2023, l’on a enregistré un peu plus de 8.000 nouveaux migrants. Selon APS, l’unique organisation de défense des droits de l’Homme présente en permanence à Assamaka pour offrir un soutien pratique aux personnes expulsées, les migrants arrivent dans la localité dans des conditions misérables. ‘’Les personnes expulsées sont des femmes, y compris des femmes enceintes, des enfants et des mineurs, ainsi que des hommes, qui ont souvent fait un voyage éprouvant dans des bus et des camions à travers le désert’’, a constaté l’organisation, dénonçant que ‘’beaucoup d’entre eux ont été battus, maltraités et dépouillés de leurs biens par les forces de sécurité algériennes. Ces personnes sont dans une misère totale’’.
Expulsions massives, mode opératoire
Sur la base d’un accord d’expulsion signé entre Niamey et Alger en 2014, les autorités algériennes procèdent régulièrement à de rafles de migrants d’origines diverses qu’elles refoulent sans aucun discernement vers Agadez. Le seul traitement de faveur accordé à nos concitoyens -si l’on peut encore le qualifier ainsi- c’est qu’ils sont acheminés à Tamanrasset et confiés à notre Consul qui se charge de leur rapatriement en direction du Niger. C’est ça le convoi officiel. Mais nous ne savons pas si cette pratique est encore d’actualité. Concernant les autres nationalités, elles sont directement transportées par camions et abandonnées à un endroit appelé ‘’point zéro’’ en plein désert, distant de 15 km d’Assamaka qu’elles parcourent à pied avec les risques d’égarement et de mort de soif, de faim et d’épuisement. C’est cette forme qui est appelée convoi non-officiel des expulsions auxquelles s’adonnent les autorités algériennes.
Centres d’accueil débordés
Selon Alarme Phone Sahara, la recrudescence de ces expulsions est en train de provoquer ‘’une crise humanitaire dans le village frontalier d‘Assamaka, aggravée de jour en jour par le fait que depuis décembre 2022, le centre d‘accueil de l’OIM à Assamaka n’enregistre plus les nouvelles personnes expulsées’’. C’est dans ce contexte que l’OIM s’attèle à l’évacuation des 629 personnes qui étaient déjà dans son camp de transit avant de prendre d‘autres dispositions. ‘’Pour les milliers de personnes expulsées par les convois non-officiels comme conséquence de cette situation, aucun moyen de déplacement n’est mis en leur disposition pour quitter Assamaka, ni de la part de l’OIM, ni de la part de l’Etat nigérien, Seuls quelques-uns d’entre eux parviennent à se procurer un véhicule grâce à l’argent de leurs proches. Tous les autres restent à Assamaka, sans abris, sans couvertures ni nattes, sans approvisionnement en nourriture et en eau’’, a constaté APS. Il s’agit d’une situation gravissime, car mettant en danger non seulement la sécurité des personnes expulsées, mais aussi celle de la population locale. Comme stratégies de survie, les personnes expulsées sont contraintes de ‘’mendier auprès de la population locale, certaines volent et abattent même des animaux pour se nourrir’’. Ce qui n’est pas sans créer des tensions et des conflits supplémentaires et met de plus en plus en danger la sécurité générale. Devant cette menace, ‘’la police locale donc a instauré un couvre-feu qui interdit aux personnes expulsées de circuler dans le village à partir de 21 heures. Cela rend leur situation encore plus précaire’’, estime APS. Le président du Conseil régional d’Agadez est récemment monté au créneau pour interpeller le gouvernement et les partenaires sur l’incapacité de sa région à contenir les flux de migrants. ‘’ La région d’Agadez ne peut pas, en tout cas, supporter pendant longtemps et satisfaire les besoins. J’ai peur qu’on ne soit face à une catastrophe humanitaire et sanitaire aussi’’, a martelé Mohamed Anako.
Cause du drame et solutions urgentes
Les politiques anti-migratoires de l’Union européenne (UE) et les expulsions massives à partir d’Algérie sont à l’origine de la crise humanitaire en cours à Assamaka. Les services fournis par l’OIM sont jugés précaires. Pour y remédier, Alarme Phone Sahara a demandé aux autorités algériennes l’arrêt immédiat des expulsions, qui passe par une abrogation par Niamey de ses accords d’expulsion avec l’Algérie. L’organisation a aussi interpellé le Rapporteur de l’ONU sur la migration afin qu’il assume sa responsabilité et fasse pression sur l’Algérie pour respecter son engagement international relatif aux droits humains. La réponse à cette crise, selon APS, doit être immédiate et implique une prise rapide de mesures de protection des migrants ayant fui Assamaka par l’Etat nigérien et la communauté internationale. Lesquelles mesures doivent se traduire par ‘’une évacuation immédiate des milliers des migrants bloqués à Assamaka dans des conditions insupportables et leur réinsertion dans des conditions de vie dignes et humaines’’. Mais aussi la réouverture des centres d’accueil, d’hébergement, de prise en charge et de transport des migrants. Il faut aussi débloquer urgemment des moyens suffisants pour ‘’les structures locales ou d’autres porteuses d’aide humanitaire qui sont prêtes et capables de prendre en mains des initiatives concrètes d’assistance pour les migrants expulsés et bloqués au Niger’’, recommande APS.