L’intervention du colonel Ibro, membre influent du CNSP, en marge de la marche organisée samedi 13 avril 2024 à la Place de la Concertation par Synergie, une coalition d’organisations de la société civile pour demander le retrait des troupes américaines au Niger, soulève plusieurs dimensions problématiques tant du point de vue de la démocratie que des relations entre le pouvoir militaire et la société civile.
Ton et rhétorique
La rhétorique employée par le colonel Ibro est teintée d’autoritarisme et de défi. Il utilise un ton qui peut être perçu comme intimidant et coercitif, en particulier lorsqu’il met en garde ceux qui ne suivent pas la ligne du CNSP. Cette approche de “avec nous ou contre nous” polarise la société civile et réduit l’espace pour un dialogue constructif et une opposition saine. Un tel discours, surtout en provenance d’un régime militaire, peut être interprété comme une menace à peine voilée contre les dissidents, comme une menace directe à l’encontre de ceux qui choisissent de ne pas soutenir ou de critiquer le régime. Ce qui est alarmant dans un contexte où la liberté d’expression et le droit de contestation devraient être protégés.
Contenu et implications politiques
Le contenu de l’allocution du colonel Ibro révèle une conception très particulière du pouvoir et de la gouvernance. Il insiste sur le fait que l’action du 26 juillet a été entreprise de leur propre initiative, rejetant toute influence extérieure. Cela semble être une tentative de légitimer leur coup d’État, en le présentant comme une décision souveraine, ce qui est une stratégie courante utilisée par les régimes putschistes pour consolider leur pouvoir.
Par ailleurs, l’affirmation selon laquelle la lutte engagée par le CNSP est pour la “sauvegarde de la patrie”, et doit être poursuivie jusqu’à la réalisation des objectifs fixés, pose la question de la légitimité de ces objectifs eux-mêmes. En effet, qui détermine ces objectifs ? Sont-ils le fruit d’un consensus national ou plutôt d’une imposition par une minorité armée ? Le discours du colonel Ibro laisse entendre une absence de consultation démocratique, où les objectifs et les méthodes du CNSP sont incontestables et non sujets à débat.
Cette démarche peut être vue comme une monopolisation du discours patriotique, où seul le CNSP serait détenteur de la vision correcte pour l’avenir du pays. Cela nie non seulement la pluralité des visions politiques mais aussi la légitimité des autres acteurs de la société civile.
Menaces voilées et coercition
Les menaces voilées contre ceux qui “s’interposent entre les populations et nous” et l’affirmation que toute autre voie que celle du CNSP entraînera des “ennuis” sont particulièrement problématiques. Cette rhétorique de division, qui ostracise ceux qui divergent des vues du pouvoir en place, est un signe révélateur de pratiques autoritaires. Elle transforme le débat politique en un environnement toxique où la peur et l’intimidation remplacent le dialogue et la persuasion, réduisant l’espace pour une opposition pacifique et constructive.
Par ailleurs, l’assertion de Ibro selon laquelle que “seul Dieu” peut empêcher le CNSP de suivre son chemin choisi, combinée à l’assurance que “Dieu est avec nous”, instrumentalise la religion d’une manière qui peut saper les principes laïcs de l’État. Cette rhétorique peut être perçue comme une tentative de légitimer des actions contestables en se référant à une volonté divine, ce qui est dangereux dans le contexte politique tendu du Niger.
En conclusion, le discours du colonel Ibro révèle une posture qui pourrait gravement compromettre le processus démocratique au Niger. Elle illustre une tendance inquiétante à consolider le pouvoir par des moyens autoritaires, en marginalisant la société civile et en réduisant les espaces de dialogue ouvert et inclusif. Ces éléments sont essentiels pour maintenir la confiance entre les citoyens et les gouvernants dans un contexte post-coup d’État. Cette posture, loin de rassurer, pose la question de la capacité et de la volonté du CNSP à diriger une transition vers une gouvernance démocratique et inclusive.