Après 5 ans de léthargie dans laquelle était installé le CNDP, une première session s’est tenue ce vendredi 09 septembre avec la participation de l’opposition. Pour recueillir le point de vue d’un acteur politique par rapport à cette rencontre, nous sommes entretenus avec Djibrilla Baré Maïnassara, Economiste, ancien Auditeur interne au siège de la BCEAO, ancien conseiller spécial du président de la République sur les questions Economiques et Financières, qui a été candidat à la dernière élection présidentielle au titre de l’UDFP-SAWABA, un parti Panafricaniste de la première heure.
L’Enquêteur : Depuis un certain temps, le nomadisme politique a repris de plus bel dans notre pays. Des acteurs politiques très critiques vis-à-vis du PNDS- Tarayya retournent leurs boubous pour aller à la mangeoire. Qu’est ce qui explique cette inconstance au sein de notre classe politique ?
Djibrilla Baré Maïnassara : Je vous remercie de me donner à nouveau la parole sur un sujet aussi délicat et aussi ancien que le nomadisme politique. Selon le constitutionnaliste J. M. Nzouankeu, dans la pratique, la transhumance se présente, le plus souvent, comme des épisodes de reniements, de revirements, de ralliements d’anciens opposants, élus nationaux ou locaux, qui, après avoir bénéficié de l’investiture de leurs partis, démissionnent pour rejoindre la mouvance gouvernementale avec l’espoir de bénéficier de quelques avantages (J. M. Nzouankeu, «Problématique de la gouvernance. ). Ce phénomène pose à la fois des problèmes d’ordre éthique, moral et juridique sur la portée desquels les opinions divergent. Evidemment, je ne vous donnerais que le point de vue du modeste observateur politique que je suis. Vous le savez, le nomadisme dans nos contrées s’est imposé depuis la vague de démocratisation de nos Etats qui a vu le foisonnement de nombreux partis politiques. Toutefois, les institutions et les pratiques démocratiques révèlent leurs limites quand ce n’est pas leur perversion. La transhumance, appelée également nomadisme politique, est rangée parmi ces travers (F. K. Awoudou, Le mal transhumant, les infidélités politiques….). Pour le cas qui nous concerne, selon un petit sondage que j’ai pu effectuer sur le nomadisme récent, c’est la pauvreté et la précarité dans lesquelles végètent les familles nigériennes, la perte des valeurs liées à un mauvais encadrement des populations et surtout de la jeunesse qui sont à la base de cette descente aux enfers. Tout comme la perte de conviction de nos dirigeants politiques dans le programme de leur parti : l’homo politicus transhume en fonction des gains attendus de sa transhumance à l’instar de l’homo économicus qui cherche à maximiser son profit dans le cadre d’une entreprise. La faute est aussi liée à un système démocratique non adapté à nos pays pauvres où la démocratie libérale dite majoritaire (par opposition à la démocratie dite consensuelle) dans laquelle «the winner take all», c’est-à-dire que le vainqueur des élections au deuxième tour de la présidentielle, même d’une unique voix, aura le droit de vie ou de mort sur toutes les autres formations politiques vaincues pendant la durée du mandat. Il peut dissoudre l’Assemblée nationale pour se tailler une majorité, un jeu d’enfant quand on dispose des moyens de l’Etat. Le parti au pouvoir peut notamment instrumentaliser la justice pour traquer les opposants, monopoliser les marchés publics au bénéfice de ses opérateurs économiques etc…Ce mal a pour origine entre autres plusieurs facteurs identifiés :
– une conception du pouvoir où l’enjeu principal est le contrôle de la redistribution des ressources dans le cadre d’un État néo-patrimonial ;
– des partis politiques encore incapables d’assurer les fonctions traditionnelles d’éducation politique, de mobilisation, de représentation d’intérêts divers et fonctionnant sans démocratie interne, au service des ambitions de quelques individus si ce n’est d’un clan ;
– le prétexte de la démocratie consensuelle à l’africaine pour justifier les dérives liées à la transhumance politique.
Pour atténuer le phénomène, il faut donc s’attaquer à ces racines ci-dessus identifiées.
Mon « grand papa » Souley Adji, sociologue de son état, pourrait vous édifier mieux que moi, puisque tout compte fait, ce sont des phénomènes sociologiques qui pourraient même faire l’objet de modélisation. Mais on n’a pas besoin d’être sociologue pour savoir que plus les intestins d’un individu sont fragiles et ses convictions politiques faibles plus est grande sa propension à transhumer. Plus les gains attendus de la transhumance sont élevés, plus il se décidera à transhumer. Sur le volet judiciaire et social, dans le cas d’un fonctionnaire, plus sa gestion passée des deniers publiques a été entachée, plus il cédera à l’appel des renaissants qui n’hésiteront pas à le traquer.
La démocratisation comme vous le savez est un très long processus pour lequel chaque pays finit par tracer sa propre voie. Les systèmes démocratiques de nos pays francophones, qui sont loin d’être endogènes, ont connu de nombreux reflux et les zones de turbulence ne manqueront pas à l’avenir. Le philosophe Achille Mbembe s’est prononcé gravement sur les systèmes en vigueur et voici ce qu’il en dit : « Pour leur part, les intellectuels n’ont pas réussi à dépasser le chaos, se contentant d’un saupoudrage étonnant : la démocratie est mise en pratique sans pensée démocratique. Le vote, souvent acheté en contrepartie de libéralités en argent ou en nature, se révèle comme le moyen efficace pour conquérir une position prébendière, offrant de nouvelles opportunités de pratiques prédatrices, et qui n’aurait pas été automatiquement obtenue par le scrutin aléatoire » (A. B. Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée- La Découverte, coll. « cahiers libres », 2010).
Le communiquant Vincent Hugeux, grand connaisseur des systèmes politiques des pays africains francophones, reconnaît que «L’élection ne fait pas la démocratie, laquelle suppose un système éducatif efficace, une justice indépendante, une administration impartiale, une presse libre, le respect du droit des minorités et un minimum de sécurité physique comme alimentaire ». Le communiquant a conclu en ses termes : « Quand le ventre est vide, l’urne sonne creux ».
C’est le cas de la plupart de nos pays qui, par coïncidence, occupent les derniers rangs du classement en termes de développement humain du PNUD. Nous sommes en face de démocraties purement alimentaires où c’est le ventre qui commande tout le reste.
Une session du CNDP s’est tenue ce vendredi 9 septembre et a débattu de la question relative à l’élection des députés de la diaspora et celle relative à la crise sécuritaire. Comment avez-vous accueilli la convocation de ce cadre qui a cessé de fonctionner pendant de longs mois ?
N’est-ce pas que lors de notre dernier entretien, vous aviez décrété que l’opposition politique n’existe plus et qu’elle a disparu des écrans radars. C’est malheureusement le constat de la majorité des Nigériens. Ensuite, quand on parle de dialogue, il faut être au moins deux pour le faire. Or c’est la majorité qui a proposé la date et a fixé unilatéralement l’ordre du jour en violation des textes régissant l’institution. A mon avis, dans cette affaire, le gouvernement avait son propre agenda caché et elle avait juste besoin d’une photo avec les opposants. Evidemment, ce point de vue n’engage que ma seule personne.
Abordons à présent la question de la gouvernance économique sous cette ère des Renaissants. Notre pays n’a jamais connu autant de scandales financiers depuis son indépendance comme ces dix dernières années. Qu’est-ce qui explique cet état de fait ?
Vous me demandez ainsi de tirer sur l’ambulance « Renaissance acte 3 » et je vous ai maintes fois dit avoir horreur d’un tel exercice. Mon éducation ne me l’autorise pas. Néanmoins en tant qu’Economiste, ayant passé près de trois décennies de ma vie à la banque centrale communautaire à m’occuper des questions économiques et financières, je ne saurais me dérober. Surtout après avoir vu mon pays occuper, plus d’une décennie durant, le dernier rang de la planète au classement de l’Indice de Développement Humain du PNUD. C’est la plus grande humiliation subie par notre génération d’Economistes. Vous le savez, nos « Renaissants » avaient passé le clair de leur temps à l’opposition (20 ans prétendent-ils) à dénoncer la mauvaise gestion et finalement personne ne comprend ce qui leur arrive. Mais vous le savez également, on ne s’improvise pas manager du jour au lendemain. Un cadre peut être bardé de diplômes sans être capable de manager quoi que soit. Les « renaissants » ont passé plus de temps dans certains milieux pour préparer des complots afin d’accéder au pouvoir que dans des officines où ils peuvent apprendre à gérer. Si vous jetez un coup d’œil sur les déclarations des biens de la plupart, vous comprendrez qu’ils sont plus venus pour se réaliser personnellement que pour tirer le pays vers le haut. La gouvernance c’est le cadet de leur souci. Ils ont usé et abusé de l’idéologie socialiste et de l’Internationale socialiste pour accéder au pouvoir, mais je crois qu’ils ont jeté celle-ci par la fenêtre. Les 450 milliards de FCFA jetés par la fenêtre pour l’organisation d’un sommet de l’UA (dont les retombées restent à prouver) qui avait occasionné la destruction de dizaines de milliers de kiosques, pourvoyeurs d’emplois et de recettes fiscales), dans le pays le pauvre de la planète, les dizaines kilomètres de rails inadaptés posés sans étude de faisabilité, sont les parfaits exemples de mauvaise de gouvernance. Ce sont des cas qui battent les records Guinness de la mauvaise gouvernance. Des centaines de pages ne suffiraient pas pour lister les multiples cas de mauvaise gestion qui ont jalonné les onze (11) dernières années de gouvernance des « renaissants ». Le Rapport public 2021 de la Cour des Comptes, sans être exhaustif, dresse le tableau des plus sombres de cette gestion. Je ne pourrais vous en dire plus. M. le journaliste, je vous remets mes diplômes d’Economiste, mettez-y le feu si vous voulez ! Ils ne nous ont servi à rien, mes ex amis politiques et moi, notamment les économistes.