L’accueil froid réservé à la mission de médiation au Burkina Faso conduite par l’ancien président Issoufou Mahamadou n’est pas passé inaperçu au sein de l’opinion. C’est à l’aéroport que le capitaine Ibrahim Traoré a reçu les membres de la délégation pour échanger avec eux. Pour Dr. Souley Adji, cette posture des Burkinabè est l’expression d’une méfiance vis-à-vis de la démarche de la CEDEAO. L’enseignement-chercheur en sociologie politique à l’UAM de Niamey fustige aussi l’interdiction systématique des manifs pacifique de rue de la société civile, qui ne saurait perdurer éternellement.
L’Enquêteur : La CEDEAO est confrontée à des difficultés d’acceptation par la jeunesse Burkinabè dans le cadre de la médiation qu’elle tente de mener pour un retour rapide du pays à l’ordre démocratique. Cette hostilité s’est visiblement exacerbée par la désignation de l’ancien président Issoufou Mahamadou comme médiateur de l’organisation sous-régionale. Qu’est-ce qui pourrait justifier cette posture de la jeunesse burkinabè vis-à-vis de la CEDEAO ?
Dr. Souley Adji : La jeunesse burkinabè est évidemment à l’image des autres jeunesses du Sahel : vindicative, informée et consciente, en particulier sur les problématiques politiques de la sous-région. Leur connaissance des enjeux et des acteurs politiques régionaux en particulier est très pointue de même que leur détermination à battre en brèche les discours populistes et serviles. En cela, au Burkina, il y a d’abord leur lassitude de voir leur propre classe politique opportuniste, inconséquente et couarde, incapable de bâtir un cadre démocratique pérenne, faire le plus souvent le lit des coups d’État, dont le Burkina est d’ailleurs coutumier. Et lorsque les prétoriens confisquent le pouvoir, les politiques y voient une belle opportunité pour s’infiltrer dans les rouages de l’administration dans l’espoir de se refaire financièrement et plus généralement pour éviter les affres de l’opposition. Comme ceux qui se ressemblent s’assemblent, les chefs d’État de la CEDEAO paraissent hautement suspects aux yeux de cette jeunesse dans leurs initiatives et leurs propositions. D’autant plus que cette instance régionale leur semble inféodée à l’Elysée, qui tirerait les ficelles en coulisses. Cela d’autant plus que nombre d’entre eux ne jurent que par la France, véritables VRP de l’Elysée, y compris contre leurs propres peuples. Mahamadou Issoufou fait certainement partie, à leurs yeux, de cette race de politiciens commis au service des intérêts du “syndicat des chefs d’État” et de l’ancienne métropole. Outre cette impression partagée ailleurs au Sahel, l’ancien président nigérien ne semble pas être non plus un homme de consensus au Burkina Faso, car il est de notoriété publique qu’il a de fortes accointances avec le parti de Christian Kaboré notamment et en rupture de ban avec le CDP de Blaise Compaoré. Cette forte hostilité à son magistère de la CEDEAO tient fortement à cette donne, surtout qu’il n’avait pas fait montre de bonne gouvernance lors de ses deux mandats, la société civile et les partis politiques étant significativement muselés ou concassés. Il n’avait donc guère été accueilli en médiateur impartial, mais en homme au parti pris évident, excepté même sa proximité avec les autorités françaises, dont la politique africaine est partout décriée.
Comment entrevoyez-vous l’issue des assises des forces vives burkinabè qui s’ouvriront le 15 octobre prochain pour désigner un nouveau président et mettre en place les organes chargés de conduire la transition avec l’annonce du capitaine Ibrahim Traoré, qui dit ne pas être intéressé par la présidence dans une récente déclaration ?
Apparemment, contrairement à son prédécesseur militaire, le jeune capitaine semble être venu au pouvoir non pour s’incruster, mais pour finir le job relativement à la lutte contre le Jihadisme et retourner dans les casernes. La célérité avec laquelle il a convoqué des assises nationales pour mettre en place les organes de la Transition en est une preuve. Pour l’heure, en tous cas, il semble bénéficier d’un large courant de sympathie et peut-être d’approbation de son coup par les forces vives. De la capacité de la junte à minimiser le phénomène terrorisme dépendra évidemment la durée de cet état de grâce. Il est cependant entendu que cette entreprise dépendra elle-même de la cohésion et de l’unité de l’armée, quelque peu fragilisée par les coups de force successifs.
Chez nous, on vient d’assister à une interdiction de la manif pacifique de rue qui devrait se dérouler à Niamey, Dosso et Tillabéri ce dimanche 9 octobre, à l’appel du M62. Qu’est-ce qui justifie cette crainte morbide du régime des Renaissants vis-à-vis des manifs pacifiques de rue de la société civile ‘’mal pensante’’? La réussite de la dernière manifestation de M62 qui avait rassemblé plusieurs dizaines de citoyens en colère n’encourage évidemment pas à donner carte blanche aux mêmes promoteurs. Beaucoup d’autres citoyens, jusque-là attentistes, risquent bien entendu de rejoindre une nouvelle manifestation de rue. Il y aurait en l’occurrence des discours de désaveu de la politique de défense nigérienne, arrimée à Barkhane, et aussi des récriminations fortes contre les forces françaises et contre Macron, dont le paternalisme froid choque plus d’un Sahélien. Il y aurait certainement une situation difficilement maîtrisable par les forces de l’ordre, dont le débordement par les manifestants pourrait faire vaciller le régime. La seule option salutaire pour les autorités aura, bien entendu, été de tordre le cou à la Constitution, dont les dispositions relatives à la liberté d’expression et au droit à manifester sa colère passent inconsidérément à la trappe. On peut peut-être y voir là la posture d’un régime fragile, ne supportant aucune protestation publique de la manière dont les autorités gouvernent le pays, hors des standards traditionnels de la démocratie. A long terme, cette attitude ne pourrait pas tenir et tel un colosse aux pieds d’argile, le régime risque de concentrer sur lui toutes les rancœurs et attentes de groupes de plus en plus nombreux, divers voire violents, susceptibles de le déstabiliser sans crier gare. L’on ne peut en effet indéfiniment interdire à des citoyens de chercher à jouir de leurs droits consacrés par une Constitution.