La majorité parlementaire, conduite par le PNDS- Tarayya, ne s’est pas encombrée de scrupule pour barrer la route au député Omar Hamidou Tchiana, unique candidat de son groupe parlementaire au poste de 6e vice-président du bureau de l’Assemblée nationale qui vient d’être renouvelé. Ladan est sanctionné parce qu’il est critique vis-à-vis de la gestion du régime de Bazoum. Pour Dr. Souley Adji, cet acte de la majorité consistant à voter négativement comme un seul homme donne à voir le caractère suiviste, béni ouï ouï, de la plupart de ces députés. En cela, il ne pourrait s’agir que d’un règlement de compte politique.
L’Enquêteur : Le renouvellement du bureau de l’Assemblée nationale alimente le débat politique depuis le week-end avec le refus des députés de la majorité de voter en faveur de Ladan Tchiana au poste de 6e vice-présidence alors qu’il était seul candidat en lice au titre de son groupe parlementaire. Il a été bloqué avec 95 voix, n’ayant recueilli que 64. Selon le concerné, cette sanction dont il est victime est due à ses critiques acerbes vis à vis de la gestion du régime des renaissants. Comment analysez-vous cette attitude des députés de la majorité vis à vis de Ladan qui parle de haine viscérale du PNDS contre sa personne ?
Dr. Souley Adji : La composition du bureau montre une fois de plus le déficit de notre gouvernance politique et de la gouvernance parlementaire en particulier. La composition du bureau ne reflète ni l’éventail des partis représentés à l’Assemblée ni le critère de genre, dans un pays où les femmes sont plus nombreuses que les hommes. En effet, il est frappant de voir qu’aucune femme n’a eu de poste de responsabilité à ce niveau, aucune n’a été sollicitée pour une des six vice-présidences. La politique de l’exclusion des femmes des instances décisionnelles peut-elle s’accorder avec celle de la scolarisation de la petite fille ? Cette dernière reste pourtant le credo du Président de la République, soucieux de cultiver l’égalité des chances entre les filles et les garçons. Est-ce de la poudre aux yeux, se diraient certainement les gamines, quand elles constateront que la direction de notre Parlement est irrémédiablement marquée par la virilité et le machisme. La place de la femme est au foyer semble dire la majorité parlementaire, peu importe si l’homme est techniquement moins qualifié que la femme. Il s’agit pourtant d’une violation flagrante de la loi, disposant d’un certain quota pour genre féminin aux postes de responsabilité de l’État. A croire que ce sont ces mêmes parlementaires qui ont majoritairement approuvé cette loi, qu’ils jettent aujourd’hui par-dessus bord !
C’est le même esprit d’exclusion qui semble encore animer la majorité dans le rejet de la candidature de Tchiana Hamidou. Vu le score de 95 Non, il est clair qu’une consigne a été donnée par le parti pour l’éloigner de la direction parlementaire. La majorité a en effet voté négativement comme un seul homme, donnant ainsi à voir par là le caractère suiviste, béni ouï ouï et donc guère indépendant de la plupart de ces députés. En cela, il ne pourrait s’agir que d’un règlement de compte politique, le député Tchiana s’étant régulièrement montré frondeur relativement aux actes de mal gouvernance posés par le régime. Jouant pleinement son rôle d’opposant, ce dernier est en effet bien connu pour ses critiques, parfois très acerbes, du cours politique nigérien. Au lieu de s’en féliciter et de prendre conscience de certaines de leurs dérives, les politiques de la majorité y voient plutôt un acte de malveillance voire de destruction. On peut, dès lors, y voir là un fort indicateur de déficit de culture démocratique et de personnalisation du débat démocratique. Nombre de ces parlementaires sont-ils soudain atteints d’amnésie ou de perte de mémoire parlementaire ? Les anciens doivent certainement se souvenir que nombre de députés de l’opposition qu’incarnait naguère le parti du Président de la République actuel étaient élus automatiquement s’ils étaient candidats aux postes électifs du Parlement. Et cela avec la majorité des voix de la majorité. C’était une culture parlementaire bien ancrée où l’exclusion n’avait pas sa place et la tolérance une vertu partagée. Alors parlementaire, l’opposant Mohamed Bazoum avait lui-même bénéficié d’un tel modus vivendi. On peut donc en déduire que la gouvernance parlementaire a beaucoup reculé dans ce pays, naguère une référence pour nombre de pays africains.
Ladan est sanctionné parce qu’il est critique vis à vis du régime. N’est-ce pas un signal fort à l’endroit des autres députés de l’opposition occupant des postes dans le bureau qui tenteraient de suivre la même voie que lui ?
Bien entendu ! C’est le signal que la direction parlementaire doit forcément obéir aux desiderata de la majorité politique, parler de manière univoque et sans contradiction aucune. Ainsi, s’installeront graduellement des députés godillots, prompts à ravaler leurs opinions sous peine de subir les foudres de la majorité. Le stade terminal serait évidemment la fin du débat démocratique et inversement le règne de la pensée unique. Quel recul encore pour notre pays !
Lorsque l’intolérance politique se transpose jusqu’au sein de l’hémicycle où les députés de la majorité n’admettent pas des critiques contre leur régime, peut-on encore parler de vitalité de la démocratie pluraliste dans notre pays?
Si un tel élan se maintenait, il est clair qu’à l’avenir notre système parlementaire et au-delà, toutes les institutions étatiques seraient hyper politisées, les citoyens ne pouvant y accéder que du fait de leur soumission au parti présidentiel, c’est à dire au parti-État ! L’expérience nous montre pourtant que ce genre de tentatives anti démocratiques ne peuvent jamais fleurir au Niger, un pays où les soubresauts politiques peuvent advenir sans crier gare et où, comme dans la mythologie, les premiers seront les derniers et inversement. Le risque reste donc grand que le cadre démocratique nigérien ne soit vidé de sa substance et que d’exclusion en exclusion, l’on ne retombe dans les travers du passé.
Propos recueillis par I. Seyni