L’Enquêteur : Les vacances présidentielles du Bazoum n’ont pas bénéficié d’une forte médiatisation par les médias publics contrairement à celles de son mentor et prédécesseur Issoufou. Elles n’ont pas non plus drainé du monde politique et affairiste à Tesker comme ce qui se passait à Dan Dadji. Comment interprétez-vous ce changement dans la façon de faire de Bazoum ?
Dr. Souley Adji : Tout simplement parce que le Président l’avait peut-être ainsi voulu pour montrer qu’il s’agit d’un moment privé et intime, ne nécessitant donc pas un tapage médiatique comme s’il se rendait à Beijing et non à Tesker ! Si la tendance se maintient, on pourrait alors parler de rupture d’avec les mœurs de son prédécesseur ! Car, nous ne sommes qu’à la première véritable année de son mandat, de sorte qu’il parait peut-être prématuré de dire qu’il n’entend pas, lui, susciter le pèlerinage des affairistes et autres courtisans à Tesker ; en vérité, le véritable problème reste peut-être qu’il ne semble pas totalement entré dans l’histoire, celle des présidents véritablement élus, de sorte que moult gestes et attitudes en lui font davantage penser à un Premier ministre, en position de sursis, qu’à un Président souverain, occupant confortablement le fauteuil dédié à cette charge. Ainsi, ne faudrait-il pas trop médiatiser ces vacances au village ni chercher à inviter la crème interlope et prébendière, au risque de fâcher certains tenants des places fortes, dont son prédécesseur n’est pas le moindre. Aller en vacances sans tambours ni trompettes, en catimini quasiment, n’est-ce pas là la posture des Premiers ministres ? Dans cette mesure, ces vacances paraitront davantage comme une retraite de travail, notamment sur les stratégies d’autonomisation par rapport à son ancien patron que comme un véritable moment de distraction et de farniente. En cela, l’on comprendrait, aisément, à l’inverse, qu’il ne veuille d’aucun tapage médiatique et que seuls seront convoyés au village les intimes parmi les intimes, doublés peut-être de stratèges politiques devant lui suggérer des approches novatrices d’émancipation tous azimuts.
Les rumeurs selon lesquelles deux clans se mènent actuellement une guerre en sourdine au sein du PNDS- Tarayya en prélude au prochain congrès du parti prévu en décembre enflent de plus en plus. A quoi peut-on s’attendre à l’occasion de ce congrès ?
Voilà donc un des chantiers de travail de Bazoum Mohamed à Tesker ! Comment affronter les apparatchiks du parti, dont les allégeances à l’ancien Président sont un secret de polichinelle ? Que l’ancien gouverneur de Maradi, comptant parmi les intimes de celui-ci, fasse une sortie aussi provocatrice voire intimidatrice, n’est évidemment pas gratuit ni inspiré par lui-même ! Il y a donc manifestement des jeux souterrains déterminants en préalable au congrès, moment de règlements de comptes, de repositionnement des cadres dans les instances décisionnelles, aussi bien du parti que de l’Etat. Pour les tenants de l’ancien régime, évidemment nostalgiques des prébendes et de la gabegie, il s’agira de mettre Bazoum Mohamed en minorité sur l’essentiel des questions et de lui faire tenir des engagements, pas toujours nets, épousant les contours et les principes d’un parti-Etat, comme antérieurement. L’objectif intermédiaire serait évidemment de voir le poids et l’autorité de Mahamadou Issoufou renforcés davantage dans le parti et dans les coulisses du pouvoir. Quant aux partisans de l’actuel tenant du pouvoir suprême, quoique en apparence, il s’agirait évidemment de chercher à émanciper l’Etat du parti, à dépolitiser davantage l’administration et à restaurer la pleine légitimité et autorité du successeur de Mahamadou Issoufou. A cet égard, la probabilité reste grande que l’on assiste à un schisme au sein du parti, si tant sera que Bazoum Mohamed n’entend plus rester et demeurer une sorte de vice-président, appelé à exécuter les desiderata de l’homme de Dandadji, en clair, à renier sa réputation d’insoumis et d’iconoclaste politique. Et également d’homme d’Etat aspirant à servir l’intérêt général et nullement les volontés de quelques coteries et clans politiques. L’on se rappelle qu’il s’agit là d’une profession de foi de son discours d’investiture.
Au sein de l’opinion, l’on parle d’un profond remaniement du gouvernement au retour de Bazoum de ses vacances. Pensez-vous que ledit remaniement peut permettre de changer la gouvernance à vue de Bazoum à laquelle les Nigériens ont assisté impuissants jusqu’ici ?
Nul doute qu’un remaniement ministériel après Tesker serait très instructif à scruter ! Ce serait en effet l’occasion d’apprécier la qualité des travaux de vacances de Tesker et les conclusions auxquelles auront abouties les séminaristes. La configuration du futur gouvernement pourrait aussi donner d’utiles renseignements sur le bras- de-fer qui, probablement, se jouera au congrès prochain. Dans l’hypothèse d’un maintien du Premier ministre et de certaines personnalités typées, l’on comprendra très vite que Tesker aura plutôt été une promenade de santé qu’une retraite laborieuse et stratégique. Bien entendu, en cas de changement significatif, l’on supputerait l’amorce d’une posture d’émancipation du Président de son envahissant mentor, peut-être atteint de vertigo, au point où le concerné ne donne toujours pas l’air de quelqu’un qui a compris qu’il importe de faire place nette à son successeur, lequel, à l’entendre, brûle d’ambition pour montrer réellement ce qu’il vaut.
Propos recueillis par I. Seyni