L’Enquêteur : L’incident diplomatique entre Bamako et Niamey né de l’altercation verbale entre le Premier ministre malien Abdoulaye Maïga et le président Bazoum continue encore de dominer l’actualité nationale et internationale, une semaine après sa survenue à New York. Qu’est-ce qui explique ce déchaînement de passions autour de l’affaire ?
Dr. Souley Adji : La persistance du débat, parfois passionné, sur cet incident diplomatique, montre tout simplement l’intérêt de certains groupes à en tirer profit en fonction de leur positionnement sur l’échiquier politique. On peut parler d’une stratégie d’exploitation politicienne de l’incident par les pro et les anti Bazoum, les premiers en se faisant les avocats commis d’office du pouvoir, afin de se faire mieux connaître des autorités, d’être plus visibles dans les médias traditionnels et les réseaux sociaux dans le sombre dessein d’attirer l’attention des autorités sur leur indéfectible loyauté, y compris et surtout quand elles sont vilipendées publiquement. Organiser une manifestation de soutien, où l’on pourfendrait les autorités maliennes, n’est-ce pas encore là une stratégie de meilleure visibilité comme les médias tendront à couvrir l’évènement ? En retour à ce soutien sans faille, à ce zèle inouï pourrait-on dire, ils attendent évidemment d’entrer dans les bonnes grâces du Président, qui devrait, espèrent-ils, faire preuve de gratitude et de largesses à leur égard. On peut donc dire que leur activisme est loin d’être désintéressé. Bien au contraire. Quant aux adversaires résolus de Bazoum, ce serait là l’opportunité pour eux de remettre à jour le contentieux électoral, sinon le doute sur sa nationalité d’origine, à l’instar du PM par intérim malien et ainsi chercher à délégitimer sa fonction et son autorité. Une campagne de dénigrement savamment montée pourrait tendre à lui contester le statut de Président en suscitant un certain patriotisme afin de chercher à le déstabiliser, voire à le déchoir. Cette posture pourrait également être largement popularisée via les médias afin de créer un climat délétère, voire un courant d’opinion hostile au Président.
Jusqu’ici, en dehors de quelques personnalités de la Renaissance qui se sont exprimées isolement sur la question, ni le bureau exécutif national du PNDS ni la Mouvance pour la Renaissance du Niger (MRN), la coalition de la majorité au pouvoir, ne s’est publiquement prononcé pour condamner les propos du PM malien. Comment interprétez-vous ce silence assourdissant de ces structures formelles du pouvoir ?
Il est parfois des sujets qui ne méritent pas que l’on s’y attarde, surtout s’ils sont à caractère contre-productif, c’est-à-dire susceptibles de diviser ou de réveiller les vieux contentieux et rancœurs. A quoi bon épiloguer sur la nationalité d’origine du Président alors même que ce débat est politiquement clos et qu’il y a d’autres préoccupations plus importantes et urgentes qui minent le pays ? Ce doit être certainement la réflexion que beaucoup d’acteurs se sont faites, qu’il s’agisse d’alliés politiques de la MRN ou d’apparatchiks du parti au pouvoir ; Les opposants non plus n’avaient certainement pas trouvé noble ce sujet portant sur la nationalité à présent que les joutes électorales se sont estompées. Il y aurait probablement d’autres sujets, plus nobles où ils pourraient faire entendre leurs voix.
Du reste, tous ces acteurs savent que le personnage est coutumier des dérapages et des excès dans sa communication de sorte que la réponse de berger à la bergère du Premier ministre malien ne les surprend guère, le principe de l’arroseur arrosé étant la règle, selon le bon sens.
Actualité oblige, quelle est votre lecture du coup d’Etat que vient de connaître à nouveau notre voisin le Burkina Faso ? Une reprise irréversible des putschs dans l’espace communautaire ?
On peut dire que l’ancien Président malien, Ibrahim Boubacar Keita et Damiba, le chef de la junte burkinabé, sont tous deux des victimes collatérales des djihadistes, car, c’est bien l’enjeu sécuritaire qui est au cœur de la crise politique que connaissent le Mali et le Burkina et qui suscitent des remous au sommet de l’Etat. Leur impuissance à faire efficacement face au fléau terroriste leur a tous deux fait perdre le pouvoir suprême. Il faut dès lors craindre que les coups d’Etat ne soient plus seulement une mode au Sahel, mais une tendance lourde. L’impuissance des autorités civiles démocratiquement élues à éradiquer le phénomène terroriste tend à perdurer, nonobstant la coopération militaire des partenaires au développement et les efforts de l’Etat. D’où le challenge pris par certains prétoriens de faire mieux que les civils. Pour autant, les juntes de la sous-région n’ont pu relever aucun défi. Bien au contraire. Mais, la tentation demeure toujours grande qu’en dépit de leur propre impuissance, certains éléments de l’armée semblent continuer à croire malgré tout à leur bonne étoile. Aussi, les tentatives de renversement des régimes risquent fort de se poursuivre, d’autant plus que les généraux et les officiers supérieurs semblent ne rien contrôler, discrédités qu’ils sont pour la plupart aux yeux de la jeune génération. Tous ces coups d’Etat sont perpétrés par des jeunes officiers et sous-officiers qui trouvent leurs ainés embourgeoisés, habitués au luxe et déconnectés de la réalité du terrain. Outre ce fossé des générations minant certaines armées, les accointances de certains dirigeants avec l’Elysée constituent aussi une pomme de discorde, frustrations grandissantes relayées par les acteurs civiques et les réseaux sociaux, auxquels n’échappent pas évidemment les jeunes prétoriens, plus instruits et plus informés. Il est, par exemple, notamment reproché à Damiba ses connexions avec Blaise Compaoré, le chef d’Etat déchu par une révolution populaire. Or, l’on connaissait la proximité de l’exilé avec les autorités françaises. En ce sens, on peut valablement dire que la sujétion des chefs d’Etat à la France voire leur déficit de souveraineté ou de volonté politique propre ajoute encore à la frustration de ces jeunes officiers, habitués à un commandement unique. Dès l’instant où existe une sorte de bicéphalisme au sommet de l’Etat, à l’instar de Compaoré et de Damiba, le risque est grand que se développe un mécontentement au sein de la soldatesque voire une remise en cause de cette forme de gouvernance. Aussi, importe-t-il aux autorités de veiller à ne pas faire le lit des crises politiques, en particulier des renversements des régimes civils. Ce serait alors un véritable recul pour le Sahel.