A l’instar de la communauté internationale, notre pays a célébré, dimanche 16 octobre dernier, la Journée mondiale de l’alimentation (JMA). L’accès à l’alimentation est-il une réalité au Niger aujourd’hui ? Diori Ibrahim, chargé de programme Agriculture/Droit à l’alimentation à l’association Alternative Espaces Citoyens (AEC) pense que cet objectif est loin d’être atteint dans notre pays. Bien au contraire, la situation se dégrade même d’année en année aussi bien dans le monde rural qu’en milieu urbain.
L’Enquêteur : ‘’Ne laisser personne de côté. Amélioration de la production, de la nutrition, de l’environnement et des conditions de vie’’. C’est le thème retenu chez nous pour marquer la Journée mondiale de l’alimentation (JMA) célébrée dimanche 16 octobre dernier. Quel est l’état des lieux de l’accès à l’alimentation dans notre pays ?
Diori Ibrahim : En termes d’état des lieux, je dirai qu’on est dans une situation critique puisque la campagne agricole 2021 a été déficitaire, selon le propre bilan du gouvernement. Et il avait immédiatement identifié quelque 4 millions de personnes en insécurité alimentaire et 3 autres millions à risque. Les deux chiffres cumulés font 7 millions de personnes. En février dernier, le gouvernement et les partenaires techniques et financiers -surtout la communauté humanitaire- avaient lancé un appel aux donateurs pour venir en aide à ces millions de personnes en insécurité alimentaire. Nous sommes actuellement à la fin de la période de gestion de la crise alimentaire. On a vu les deux plans de réponse humanitaire qui ont été élaborés : le plan de soutien humanitaire par le Dispositif national de prévention et de gestion des crises alimentaires dont le budget avoisinait 200 milliards de FCFA et le plan de réponse humanitaire, le mécanisme des Nations Unies chapeauté par OCHA. Ce plan a été budgétisé à hauteur de 552 millions de dollars US, soit près de 400 milliards FCFA. Où en sommes-nous actuellement ? Il y a un peu plus d’un mois, en août précisément, OCHA a fait le point sur les difficultés qu’il a pour mobiliser les ressources. C’est au total 42% du budget global prévu qui ont pu être mobilisés. Et sur ces 42% là, quand on regarde un peu dans les détails, les ressources affectées à la prise en charge des personnes en difficultés alimentaires, c’est 38% seulement. Ça montre que la communauté internationale ne s’est pas beaucoup mobilisée pour financer l’assistance alimentaire au Niger. Sa préoccupation a été tout autre. C’est la guerre en Ukraine. Au même moment, on a vu le flot d’argent en direction de ce pays. Si au Niger, le nombre de personnes à assister se chiffre à 4 millions, à l’échelle de l’Afrique de l’Ouest, le bilan que le RPCA a établi est de 38 millions de personnes affectées par l’insécurité alimentaire dans cette région.
Récemment Oxfam a publié un rapport mondial sur la progression de la faim dans le monde. Dans ledit rapport, notre pays est classé en 4e position parmi les 10 pays les plus affectés par le fléau. Comment expliquez-vous cela ?
Pas du tout surprenant ! Le Niger est un pays abonné à l’insécurité alimentaire ces dernières années. Depuis pratiquement la crise de 2005, la situation de notre pays est en train de s’aggraver. A compter de la crise de 2010, les chiffres sont quasiment restés statiques, ça ne descend pas. Ils oscillent chaque année entre 2 à 5 voire plus de personnes à l’issue de chaque campagne agricole. Cela montre qu’il y a un déphasage entre le discours public qui est servi et la réalité du terrain. Nous avons au Niger de petits paysans dont les capacités d’investissements sont très faibles pour produire suffisamment à manger. Et des citoyens à la base avec les revenus très limités. Or tant que les paysans n’arrivent pas à produire suffisamment, on aura toujours faim dans notre pays. La part du budget général de l’Etat consacrée à l’agriculture reste encore très modeste. Dans le budget 2022 en cours d’exécution, c’est seulement 5% qui ont été prévus pour les deux ministères Agriculture et Élevage pour l’aide aux paysans. Et ces 5%, c’est en termes de prévisions ; la part qui est réellement investi est encore moindre. Sans compter aussi qu’il y a une bonne partie qui est consommée dans le fonctionnement, qui ne va pas directement aux producteurs ruraux. Ça fait que les éleveurs et les agriculteurs sont quasiment laissés à eux-mêmes, la gouvernance ne les met pas au centre. Et c’est quoi l’argument que le gouvernement met en avant pour justifier cela ? Il dit diminuer les ressources allouées à ces secteurs pour financer la lutte contre l’insécurité. Malheureusement, on ne voit pas encore les résultats probants de cette lutte. Pour nous, la meilleure façon de lutter contre l’insécurité n’est pas nécessairement d’acheter des armes. Il faut améliorer les conditions d’existence des populations en milieu rural. Parce que si les gens n’arrivent pas à manger à leur faim, eh bien, c’est aussi la meilleure façon de les pousser à aller grossir les rangs des terroristes et des bandits, parce qu’ils n’ont pas d’autres perspectives. Plus grave encore, ce conflit a la particularité de se dérouler non seulement en milieu rural, mais aussi de s’étendre aujourd’hui aux sites d’orpaillages où les gens partent chercher de quoi leur permettre de sortir de la précarité. Les filets d’adaptation qu’ils utilisent aussi pour faire face à la période de soudure, c’est la migration. Malheureusement la migration interne est rendue difficile et celle hors de nos frontières plus difficile encore avec les politiques anti-migratoires adoptés par le gouvernement. La flambée des prix des denrées alimentaires vient se greffer à ces difficultés pour constituer un faisceau de facteurs qui concourent à aggraver la situation d’insécurité alimentaire au Niger et dans le Sahel de façon générale.