L’Enquêteur : La malgouvernance caractérisée par des pratiques mafieuses comme les détournements massifs des deniers publics, la corruption, le favoritisme, la concussion, etc., en toute impunité, est le principal trait caractéristique de la gestion des renaissants. Bazoum a promis d’y mettre fin sous son mandat de la continuité. En est-il véritablement capable ?
Djibrilla Baré Maïnassara : Je vous remercie à nouveau de me donner la parole. Vous me posez une question délicate puisque je vous l’avais dit dans notre précédent entretien, j’ai introduit un recours à la Cour de justice de la Cedeao depuis le 18 février 2021 sur l’éligibilité du candidat du parti au pouvoir, soit avant le second tour de l’élection présidentielle. Donc d’un point de vue juridique, tant que le contentieux ne sera pas vidé, je ne serais pas habilité à parler d’une quelconque élection du candidat Bazoum. Toutefois, souvenez-vous, le programme électoral du candidat Bazoum, c’était « Consolider et avancer ». « Le Larousse » définit ainsi le mot consolider : « rendre solide, durable ». En français facile, le candidat voulait signifier qu’il allait poursuivre la corruption, le favoritisme, la concussion, sur fond d’impunité pour les « Renaissants », toutes les tares qui avaient jalonné les deux (2) mandats de son prédécesseur et mentor qu’il (M. Bazoum) tenait à rassurer. Dans son dernier discours prononcé le 02 août à l’occasion du 62e anniversaire de l’indépendance, M. Bazoum avait reconnu la mauvaise gouvernance caractérisant la renaissance depuis son avènement et a pris l’engagement de mettre en œuvre les recommandations du Rapport public de la Cour des comptes relatif à l’année 2021. Ledit rapport, même sans avoir couvert tous les domaines, nous a livré une parfaite vitrine de la malgouvernance des « renaissants ». Sur le plan de la gouvernance démocratique, depuis l’avènement de M. Bazoum, toutes les manifestations pacifiques de rue ont été systématiquement interdites. Je ne peux vous en dire plus. En résumé, M. Bazoum n’a rempli aucun de ses engagements. Winston Churchill, pour tourner en dérision les socialistes qu’il n’a jamais porté dans son cœur, a dit : « Christophe Colomb fut le premier socialiste ; il ne savait pas où il allait, il ignorait où il se trouvait….et il faisait tout ça aux frais du contribuable ». En conséquence, M. Bazoum doit rentrer au plus vite de ses vacances, qui sont loin d’être méritées, et se remettre au service du peuple nigérien meurtri.
Après plus d’un an au pouvoir, comment appréciez-vous la mise en œuvre de ses engagements sur le plan socio-économique ?
Seulement je constate à l’instar du monde entier, qu’après plus d’un an de gestion chaotique de son pouvoir caractérisée par une cacophonie au sommet de l’Etat, que notre pays a acquis la triste réputation de premier exportateur mondial de mendiants et que nous sommes toujours inscrit au dernier rang du classement mondial de l’Indice de Développement Humain (IDH) du PNUD comme au cours des dix dernières années de gouvernance des « renaissants ». Ici même à Niamey et à l’intérieur du pays, vous rencontrez les mendiants partout dans la rue et ils ne font pas exprès d’exposer leur misère. Si vous y ajouter la dépravation des mœurs entretenue par le désœuvrement d’une jeunesse pourtant très intelligente, quels indicateurs voulez-vous avoir de plus parlants en matière de malgouvernance ?
Cette malgouvernance impacte aussi sur la diplomatie nigérienne. Nous sommes actuellement le seul pays sur lequel la France s’appuie pour affirmer sa présence au Sahel. Comment analysez-vous cette posture de Niamey ?
Vous me posez une autre question certes délicate, mais facile à répondre. La France a toujours été le premier partenaire traditionnel du Niger en tant que puissance colonisatrice. Avant de vous répondre, permettez-moi de rappeler ce que le défunt président Seyni Kountché (Paix à son âme !), mondialement réputé pour l’amour de son pays, avait dit, en 1976 : « En matière de politique étrangère, nous ne sommes ni à droite, ni à gauche, ni devant, ni derrière personne. Nous ne sommes guidés que par l’intérêt supérieur de notre pays ». (Thèse de Doctorat d’Etat en droit public de Mamadou DAGRA à l’UCAD-1987)
Vous et moi, et même nos parents, avions étudié dans la langue française qui nous permet d’accéder plus facilement au monde extérieur. Nous avions eu par le passé des relations diplomatiques avec toutes les puissances mondiales. Donc est-il exact de déclarer aujourd’hui que la France s’appuie sur notre pays pour affirmer sa présence au Sahel ? Je ne le pense pas. Il est plus exact de dire que les autorités françaises ont sollicité et obtenu de nos autorités le déploiement de Barkhane sur notre sol. Est-ce la France qui nous a suggérés d’affaiblir notre armée par peur d’un coup d’Etat, d’acheter à nos soldats du matériel défectueux ne pouvant pas leur permettre de faire face efficacement aux terroristes ? Est-ce la France qui nous a obligés à nous embarquer pleinement dans la guerre au Mali en 2012, alors même que des pays comme le Sénégal sont restés très prudents ? Les Nigériens dans leur ensemble aiment le peuple français, mais il est compréhensible qu’après plus de 60 ans d’indépendance, constatant qu’ils croupissent toujours dans la misère, ils s’interrogent cette fois-ci sur les politiques de l’Etat et des gouvernements successifs français. Je dis bien l’Etat français, pas le peuple français qui, lui-même, a manifesté son mécontentement sur la politique du gouvernement français à travers le mouvement des «gilets jaunes» auquel l’on a assisté pendant le premier mandat du président Emmanuel Macron. Ceux qui n’aiment pas les Français sont bien ceux-là qui s’appuient sur le gouvernement français pour se faire élire et se faire maintenir au pouvoir, malgré leur impopularité liée à la malgouvernance, en lui (l’Etat français) miroitant un partenariat solide. L’Etat français averti ne devrait pas se tromper de jugement et se fier à ces vendeurs d’illusions. Ce sont ceux-là qui sont malheureusement à l’origine du désamour naissant entre les populations du Sahel meurtries par la misère et l’insécurité et l’Etat français. La fraternité entre les deux peuples, elle, est toujours au beau fixe. Il est pour tous difficile de comprendre au nom de quels principes un gouvernement du Niger, pays frontalier du Mali, avec lequel nous avons des liens séculaires, peut-il se mettre sur le dos ce peuple qui ne comprend toujours pas ce qui est reproché à ses autorités ? Un gouvernement nigérien, peut-il être plus soucieux du bonheur de peuple malien que lui-même ? Si c’est pour la démocratie comme le prétendent sur tous les toits nos autorités, elles sont très mal placées, elles qui ont été élues dans les conditions que chacun sait. Si c’est uniquement pour plaire au président français, c’est encore plus aberrant parce qu’on ne verra jamais un président d’un pays membre de l’Union Européenne se dresser contre un autre pour assurer les intérêts d’un pays membre de l’Union Africaine. Il est urgent pour nos autorités de se ressaisir. En matière de diplomatie, nous avons atteint le fond. C’est l’abîme. L’incompétence et l‘impréparation des acteurs aux hautes charges de l’Etat ne peuvent justifier à elles toutes seules une telle descente aux enfers. Pour revenir à votre question, avec l’avènement des réseaux sociaux, les peuples sont de plus en plus exigeants vis-à-vis des gouvernants, et dès qu’ils constatent qu’un partenariat avec un pays n’est pas fructueux, ils réclament un changement de cap. Le président Emmanuel macron, qui est un dirigeant très intelligent, à qui les Français ont accordé leur suffrage à deux reprises, saura certainement détecter le message des peuples afin de préserver durablement les intérêts de l’Etat français pour lesquels il a été élu. Quant à nos autorités, la seule solution est que le peuple prie pour qu’elles reviennent à la raison. Le peuple nigérien dans son ensemble ne comprend absolument rien à leur logique. Surtout que contrairement au pays contre lequel ils s’acharnent, notre pays est réputé être le premier exportateur mondial de mendiants, la plus grande déchéance pour un pays. Mais le peuple nigérien n’est pas fataliste, il s’en sortira, Incha Allah !