L’Enquêteur : Ça fait plusieurs jours qu’une pénurie sévère de gas-oil est observée dans notre pays. A quoi est due cette rupture ?
Gamatié Mahamadou Yansambou : Avant toute chose, nous profitons de vos colonnes pour rendre hommage au défunt président Tandja Mamadou qui a décidé d’exploiter le pétrole nigérien, avec à la clé une raffinerie. Vous vous rappelez, les animateurs du Guri système avaient nié l’existence de ce pétrole . Lorsqu’ils sont arrivés au pouvoir, ils disaient encore que la construction de cette raffinerie était une mauvaise affaire, que ce n’était pas opportun, que c’était surfacturée et qu’on en avait pas besoin. Ils ont même diabolisé le choix politique de Tandja. Aujourd’hui, si on n’avait pas cette raffinerie avec cette guerre en Ukraine, quelle sera notre situation ? Maintenant cette histoire de pénurie de gas-oil est une situation prévisible. Elle allait survenir même sans la guerre en l’Ukraine. Depuis le 28 novembre 2011, date de l’inauguration officielle de la Soraz, nous avions tiré la sonnette d’alarme, étant à l’avant-garde de la lutte contre la cherté des prix des hydrocarbures. Par la suite, nous avions compris que la lutte ne doit même pas être focalisée sur la cherté du carburant, mais sur la sauvegarde d’un patrimoine national à savoir la Soraz, qui a été gérée au fil des années de façon opaque, patrimoniale. Personne ne sait aujourd’hui encore précisément ce qui se passe dans cette exploitation du pétrole. Le Niger a commencé à avoir des problèmes avec les Chinois lorsque ceux-ci ont exigé et obtenu la possibilité de vente à l’export à hauteur de 50% de la production. Alors que c’est la Sonidep qui doit normalement détenir exclusivement le monopole de la commercialisation et de l’export. Mais quand les Chinois ont compris que nos gens sont corruptibles, qu’il y a une opacité, ils ont pressé jusqu’à amener le gouvernement nigérien à leur concéder cette faveur. Devant ce constat amer, je pense que cette pénurie de gas-oil doit être aujourd’hui une occasion pour les Nigériens animés par la fibre patriotique de se lever comme un seul homme pour défendre la ressource nationale. Ils doivent se mobiliser pour exiger des comptes au régime parce que la situation risque de s’aggraver. Les explications fournies par le gouvernement, la communication de la Sonidep et la décision du ministre du Pétrole de renvoyer deux responsables chinois ne constituent pas la solution. Cette crise n’a rien à voir avec la guerre en Ukraine ou encore la fraude en direction du Nigéria, c’est faux ! Ce qui nous a installés dans cette pénurie-là est ailleurs. Nous devons nous mobiliser pour demander à la Sonidep, à la Soraz et à la CNPC qu’elles nous disent concrètement c’est quoi le problème. Sinon d’ici peu, l’essence risque d’être dans la même situation que le gas-oil.
Vous demandez aux Nigériens de se mobiliser. Comment cette mobilisation peut-elle se réaliser dans un contexte où les manifestations de rue sont systématiquement interdites depuis le deuxième mandat de l’ancien président Issoufou ?
Les Nigériens doivent se donner les moyens de le faire. Il s’agit d’une question de défense des biens publics décrétés sacrés et inviolables par la Constitution. Nous sommes tenus de le faire, sinon je vous assure la Soraz va s’arrêter. Plus inquiétant, l’on a comme l’impression que la réserve de sécurité n’existe pas. Jamais dans l’histoire de la commercialisation des hydrocarbures, nous n’avons connu une telle pénurie. Depuis 1977 que la Sonidep est créée, il n’y a jamais eu une rupture comme celle-ci. A l’époque, c’est pourtant à l’extérieur qu’on s’approvisionnait sur le marché international pour couvrir le besoin national. C’est pourquoi je vous dis que c’est très grave. D’ici à 5 mois, en octobre précisément, la Soraz sera en situation de maintenance. Et en pareille circonstance, la production est arrêtée durant toute la période de révision des machines. Comment la situation va-t-elle être gérée avec la guerre en Ukraine qui fait qu’aujourd’hui l’approvisionnement en carburant est très difficile sur le marché international ? Où est-ce que la Sonidep va-t-elle aller commander et couvrir les besoins durant cette période de cessation de la production ? Et nous avons tout comme l’impression qu’il n’y a plus le stock de sécurité. Si cette réserve existait, nous n’allions pas éprouver durement cette pénurie. Présentement, la Soraz produit et ravitaille directement la Sonidep qui vend aussi directement. Si nous n’y prenions garde, les autres produits connaîtront le même sort que le gas-oil. Aujourd’hui ce n’est plus une lutte pour la baisse du prix du litre à la pompe des hydrocarbures que nous avions menée en 2018, c’est une lutte pour le sauvetage d’un fleuron important de notre économie. La gestion n’a pas changé, c’est le même régime qui est en place. Cette situation que nous vivons est la résultante d’une gestion opaque de 10 ans. Si aujourd’hui l’ancien président Issoufou est parvenu à faire placer son fils à la tête du ministère du Pétrole, c’est probablement pour couvrir ses arrières. A quelque chose malheur est bon, cette guerre en Ukraine a anticipé ce qu’on devait peut-être voir d’ici 6 mois voire un an.
Quel est l’impact de cette pénurie sur le secteur du transport ?
L’impact est grave. Le secteur de transport marchandises comme voyageurs est paralysé. Beaucoup de camions qui devaient aller prendre des marchandises au niveau des différents corridors maritimes sont actuellement en stationnement. Ce qui implique que les délais de ravitaillement prennent un sérieux coup. Ça c’est un problème que les consommateurs vont ressentir d’ici peu. Et il y a actuellement une spéculation sur le gas-oil qui va se répercuter sur les prix des marchandises. C’est le consommateur final qui va en pâtir ! Mais ce n’est pas tout, même la production de certaines denrées alimentaires comme le pain est aujourd’hui perturbé. Sans compter les producteurs agricoles qui utilisent des engins. Pour faire court, pas un seul secteur n’est épargné par cette pénurie de gas-oil qui perdure.