Le Niger est un pays fréquemment frappé par l’insécurité alimentaire. « Malgré toutes les ressources investies dans le secteur agricole depuis les indépendances, le Niger a encore la triste réputation d’être le pays des crises alimentaires à répétition et de la malnutrition permanente. Face au déficit chronique des produits vivriers, notamment céréaliers, l’insécurité alimentaire devient de plus en plus inquiétante et la pauvreté gagne chaque jour du terrain dans le monde rural qui compte 80 % de la population nigérienne », dixit Allahoury Diallo, ancien Haut-Commissaire à l’Initiative 3N. Il y a cinq mois, on estimait à 4,3 millions au moins le nombre de Nigériens ayant besoin d’une aide humanitaire d’urgence et à 2,3 millions celui des personnes en détresse alimentaire. Cette crise humanitaire est aujourd’hui aggravée par la fermeture des frontières terrestres et la suspension des transactions financières et commerciales décidées par la CEDEAO et l’UEMOA contre le Niger, en réponse aux événements du 26 juillet dernier. Du coup, de nombreuses activités humanitaires essentielles aux populations déjà̀ vulnérables ont été́ interrompues ou retardées.
A la veille de la 64e session ordinaire de la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO, tenue ce 10 décembre à Abuja, six (6) ONG, à savoir Action contre la faim (ACF), Oxfam, Danish Refugee Council (DRC), Humanité́ et inclusion / Handicap international (HI), International Rescue Commitee (IRC), Norwegian Refugee Council (NRC), ont appelé l’institution ouest-africaine à adopter d’urgence des mesures d’exemption humanitaire en faveur du Niger. « Nous, ONG ayant des opérations humanitaires significatives au Niger, appelons la CEDEAO à adopter d’urgence des exemptions formelles pour l’action humanitaire dans le régime de sanctions contre le Niger – et les États membres, à les respecter – afin de garantir que l’aide soit acheminée de manière ordonnée et opportune aux civils qui en ont en besoin. »
Rupture de stocks
D’après les six (6) ONG, plusieurs indicateurs sur les besoins humanitaires sont aujourd’hui au rouge et font craindre une dégradation très rapide des conditions de vie des populations les plus vulnérables. D’autant que les sanctions ont entre autres causé le blocage ou le retard dans l’arrivée de l’assistance alimentaire et nutritionnelle, mais également des stocks de médicaments. « De juin à septembre, pendant la période de soudure, 3,3 millions de personnes avaient besoin d’une assistance alimentaire : un demi-million d’entre elles n’en ont reçu aucune, tandis que 2,5 millions n’ont bénéficié que d’une assistance réduite. Actuellement, au Niger, 185.000 enfants souffrant de malnutrition aiguë modérée n’ont désormais plus accès aux rations en raison de l’indisponibilité́ de ces dernières, et 40.000 d’entre eux souffrent d’une forme sévère de malnutrition. Si les frontières ne s’ouvrent pas immédiatement, ces enfants ne pourront plus être soignés d’ici à quelques semaines, car les stocks de contingence s’amenuisent dangereusement. » Selon toujours ces ONG, en novembre 2023, près de 2/3 des centres de récupération nutritionnelle ambulatoire étaient en rupture de stocks pour le traitement des enfants malnutris aigus, près de 10.000 tonnes de vivres destinés à l’assistance alimentaire et nutritionnelle étaient bloqués hors du pays, aux frontières. Mais le 21 novembre, le PAM a annoncé l’arrivée de son premier convoi humanitaire acheminant 284 tonnes, via le corridor du Burkina Faso, pour secourir près de 50.000 personnes.
Clarification juridique
Face aux sanctions qui entravent l’action humanitaire, les six (6) ONG ont demandé une clarification juridique à la CEDEAO qui consisterait à modifier le libellé des sanctions pour autoriser expressément les activités et les actions humanitaires nécessaires à l’acheminement de l’aide au Niger. Cette modification serait conforme à l’article 4-4 de l’Acte additionnel sur les sanctions contre les États membres qui n’honorent pas leurs obligations envers la CEDEAO du 17 février 2012, lequel prévoit que les sanctions n’affectent pas l’acheminement de l’aide humanitaire aux populations de l’État membre concerné. « Plus précisément, nous demandons à la CEDEAO d’adopter des exemptions humanitaires juridiquement contraignantes, qui excluent du champ d’application des sanctions contre le Niger la fourniture d’approvisionnements, de services et de ressources économiques essentiels pour mener à bien des activités humanitaires, ainsi que pour répondre aux besoins humains fondamentaux. »
La CEDEAO sourde et muette
Malgré l’urgence de la situation humanitaire au Niger, le sommet de la CEDEAO n’a pas été sensible au cri d’alarme des six (6) ONG. Aucune exemption humanitaire n’a été adoptée. La CEDEAO n’a démontré aucune compassion pour la souffrance des populations nigériennes, ni respecté ses obligations en vertu du droit international humanitaire. Elle s’est bornée à affirmer qu’elle pourra « envisager un assouplissement progressif des sanctions imposées au Niger » sur la base des résultats du comité des chefs d’Etat mis en place pour discuter avec le CNSP. ‘’La CEDEAO des peuples’’, un slogan creux !