Le chef de la junte, le général Abdourahamane Tiani, a annoncé ce 19 août une transition d’une durée maximale de trois ans, la convocation d’un dialogue national pour poser les fondements « d’une nouvelle vie constitutionnelle ». Qu’en pensez-vous ?
La durée de la transition est une question sur laquelle il est difficile de se prononcer ex nihilo dans la mesure où la transition, en termes de durée, doit répondre à un certain nombre de préoccupations. Des préoccupations traduites sous forme de cahier des charges. Et ce cahier de charges n’ayant pas été décliné et connu, peut-être que le général Tiani, lui, a une idée de son contenu. C’est pourquoi il a parlé peut-être de trois ans maximums durant lesquels ce cahier des charges pourrait être rempli. Nous n’avons donc pas d’élément d’appréciation. Cependant, les maux qui ont conduit à l’irruption de l’armée sur la scène politique sont connus de nous tous. Cela mérite que l’on puisse s’attarder en termes de réflexion, d’imagination des mécanismes novateurs de manière à ce qu’on puisse éviter un retour à la case départ. Nous avons à nous interroger sur la nature et la pertinence de notre choix relativement au système démocratique. Qu’est-ce qui ne va pas : les hommes politiques et leur comportement ou le système en lui-même qu’il faut changer ? Autre interrogation, quel que soit le schéma qu’on aura retenu, il y a nécessité de réfléchir sur l’articulation de l’ordonnancement institutionnel nouveau. On n’avait jusqu’ici retenu le système semi-présidentiel. A l’heure du coup d’Etat du 26 juillet, nous n’avons même pas un système présidentiel, mais un système présidentialiste, c’est-à-dire que l’essentiel des charges devant conduire à la gestion de l’Etat ont été ramenées au cabinet du chef de l’Etat. Or, le principe de base du choix du système semi-présidentiel est que le président de la République règne et le gouvernement gouverne. Et avec le PNDS-Tarayya, nous avons abouti au contraire. En termes de dispositif institutionnel, il faut aussi s’interroger sur la question fondamentale des autres pouvoirs. Nous avons vu comment le système judiciaire a été transformé, assujetti à l’exécutif. Comment faire en sorte que chaque institution puisse jouer pleinement son rôle, telle est la grosse interrogation. La presse, censée être le quatrième pouvoir, a été un instrument de manipulation et, dans certains cas, d’intimidation. Pourquoi on en est arrivé-là ? Nous nous devons de nous doter d’un ordonnancement institutionnel nouveau de manière à ce qu’il y ait un équilibre qui permettre au pouvoir de contrôler et d’arrêter le pouvoir.
Nous avons, semble-t-il, mis en place un système démocratique, que les gens ont été démocratiquement élus. Mais, du jour au lendemain, ils se sont transformés en dictateurs, en manipulateurs de la loi. Le régime qui vient de partir ne s’en cachait pas, il a fait de la loi sa ‘’chose’’. La Constitution et les lois de la République n’étaient pas respectées, des modes de gestion nouvelles ont été instituées au gré des intérêts de quelques-uns. L’exclusion, la marginalisation, le sectarisme, le népotisme, la corruption, pour ne citer que ces tares, ont été érigées en système de gouvernement, alors même qu’elles sont bannies par la Constitution. Par ailleurs, ce pays qui servait à une certaine époque de modèle, avec des ressources limitées, a vu les conditions de vie des populations se détériorer sérieusement sous le régime du PNDS alors même que les ressources publiques s’accroissaient avec l’exploitation du pétrole. Comment faire pour disposer d’un Etat tout dévoué à la satisfaction des besoins essentiels des populations, voilà une autre grande préoccupation. Après 60 ans d’indépendance, nous sommes encore à la recherche de la survie. C’est le cahier des charges qui va déterminer la durée de la transition, et nous avons le devoir de faire un travail de fond par rapport à la refondation de l’Etat.
La CEDEAO rejette l’idée d’une transition de trois ans maximums, la jugeant « inacceptable. » Comprenez-vous cette position inflexible de l’organisation régionale ?
Il appartient aux Nigériens, et à eux seuls, de décider de la durée de cette transition. La légitimité appartient au peuple. Et un peuple ne doit jamais accepter d’aliéner sa souveraineté. Les Nigériens ne vont plus accepter un mécanisme de domination d’où qu’il vienne, qu’il passe directement ou indirectement par le truchement d’une organisation quelconque. Le Niger n’a pas d’injonction à recevoir de la CEDEAO, elle qui a décidé de couper vivres et médicaments aux populations nigériennes. Elle est mal venue pour nous parler de la durée de la transition.
Avec la feuille de route présentée par le général Tiani, la page Mohamed Bazoum est-elle tournée ?
Il ne faut pas qu’on se mente, la page Bazoum est définitivement tournée. Nous avons le regard rétrospectif : le PNDS-Tarayya a été le premier parti à créer les conditions d’une rupture institutionnelle dans ce pays, en 1994. En 1996, Issoufou Mahamadou est allé jusqu’à demander à la Cour suprême de prononcer la déchéance du président Mahamane Ousmane, au motif qu’il serait dans l’incapacité d’exercer ses fonctions. En 1999, nous savons comment le PNDS a manipulé Wanké contre Baré pour qu’il puisse récupérer le pouvoir, avec des financements venus de Libye et du Burkina Faso. Le coup d’Etat contre le président Tandja, nous savons encore comment c’était arrivé. Le PNDS était le premier à applaudir ce coup d’Etat. La situation qui prévalait avant le 26 juillet 2023 était de nature à provoquer cette irruption de l’armée sur la scène politique qui est tout sauf une surprise. Ni la CEDEAO, ni les gesticulations de certains compatriotes égarés qui disent prendre les armes ne ramèneront les aiguilles de la montre en arrière. Le Niger avancera quel qu’en soit le prix à payer.
Il a fallu trois semaines après le coup d’Etat qui a renversé le président Mohamed Bazoum pour voir son prédécesseur Issoufou Mahamadou sortir du silence. Que pensez-vous de sa demande de libération de Bazoum et son retour au pouvoir ?
Cette demande est tout sauf sincère, c’est de l’hypocrisie politique. Le problème du peuple nigérien avec Issoufou, c’est qu’il a commis tellement de forfaitures qu’il se doit de payer. Je m’étonne qu’il soit encore en liberté ne serait-ce que par rapport au prétendu chemin de fer Niamey-Dosso dans lequel le Niger a perdu des centaines de milliards de francs. Nous exigeons que toute la lumière soit faite, que la justice soit faite dans tous les dossiers de mal gouvernance.