Le service haoussa de BBC a rencontré le chef de la mission de la CEDEAO, l’ancien président nigérian Abdul Salami Abubacar, pour faire le point sur l’entretien qu’il a eu avec le Général Abdourahamane Tiani, chef de l’Etat et président du CNSP, dans le cadre des négociations engagées pour trouver une issue diplomatique à la crise politique née du coup d’Etat qui a renversé le président Bazoum le 26 juillet 2023. Nous vous livrons ici les points saillants de l’entretien qui a été réalisé par Ibrahim Isa que nous avons traduit en français.
La CEDEAO a exigé la libération et le rétablissement de Bazoum dans ses fonctions, sinon elle va maintenir ses sanctions contre le Niger avec la possibilité d’une intervention militaire pour le faire. Le général Tiani, vous a-t-il exprimé ses attentes ?
Abdul Salami Abubacar : Le général Tiani avec qui nous nous sommes entretenus durant plus de 3 heures d’horloge, a dit que le renversement du régime est consommé. Il n’est pas question de restaurer Bazoum dans ses fonctions, c’est impossible ! Mais il nous a rassuré qu’ils sont prêts à discuter de toutes les préoccupations relatives à la conduite de la transition pour un retour rapide à la normalité constitutionnelle, mais il est hors de question de réinstaller le président déchu dans ses fonctions. Il nous a aussi décliné les raisons qui les ont poussés à prendre le pouvoir.
La junte a dit qu’elle compte mener une transition de 3 ans avant de remettre le pouvoir aux civils. Quelle est votre position par rapport à cette décision, n’est-ce pas un pied de nez à la CEDEAO ?
Au départ, la junte n’a rien dit, maintenant elle s’est prononcée sur ses intentions. Nous avons obtenu une réponse que nous allons transmettre au président Tinubu, qui aura désormais quoi dire à ses pairs chefs d’Etats membres de la CEDEAO pour savoir ce qu’ils en pensent et qu’est-ce qu’il faut faire. En dehors des explications qu’elle nous a données, la junte nous a commissionnés auprès de la CEDEAO pour la réouverture des frontières et le rétablissement de l’électricité. Même en temps de guerre, on ne prive pas l’ennemi de nourriture et des médicaments pour se soigner.
Vous avez déclaré avoir rencontré le président déchu Bazoum, dans quel état l’avez-vous trouvé ?
Je ne dirai pas que sa situation de détention est reluisante parce qu’on lui a coupé l’électricité avec la décision du Nigéria de suspendre sa fourniture d’électricité au Niger. Bazoum a sollicité qu’on lui rétablisse l’électricité. La réponse que j’ai eue, ils ont dit qu’ils ne le feront pas tant que le Nigéria ne rétablit pas aussi l’électricité. Bazoum a aussi parlé de l’humiliation dont il a été victime, arrêté comme un prisonnier.
En dehors de ça, a-t-il formulé d’autres doléances ?
Si ! Il a parlé de son garçon étudiant qui est venu en vacances et qui risque d’être bloqué du fait de sa situation de détention. Il dit solliciter de la junte de le laisser retourner dans son école pour poursuivre ses études. Nous avons transmis cette doléance aussi à qui de droit.
Qu’en est-il de son état de santé ? Il y a quelques jours, la rumeur a laissé entendre qu’il manquait de médicaments et de vivres frais ?
Dieu merci, depuis un certain temps, son médecin passe régulièrement l’examiner pour lui administrer les soins dont il a besoin ; quant au problème de vivres, il ne se pose plus.
La CEDEAO a menacé d’intervenir militairement avec sa force en attente pour libérer et rétablir Bazoum dans ses fonctions au cas où le CNSP n’obtempère pas à son injonction. Comment Tiani appréhende-t-il cette menace ?
Le Général Tiani a exprimé ses inquiétudes par rapport à cette menace, car personne ne souhaite la guerre. Je lui ai signifié qu’il connaît les conséquences d’une guerre en tant que soldat, pour ce faire il doit aussi lâcher du lest afin de trouver une issue négociée à la crise.
Et qu’est-ce qu’il vous a répondu ?
Il a déclaré avoir bien pris note. Mais concernant la menace de guerre de la CEDEAO, il n’a pas de réponse à ça. Quant à l’embargo, il dit que ça peut durer comme ça peut être écourté ; la seule certitude, c’est qu’il sera levé un jour. Il dit reconnaître que cela va faire souffrir les populations mais des solutions doivent être cherchées pour alléger leur souffrance.
Est-ce que les sanctions ont déjà commencé à affecter les populations ?
Oui ! Personnellement, j’ai constaté que les effets de sanctions se font déjà ressentir parce que la nourriture commence à manquer, les médicaments commencent à manquer et le pays n’a pas d’argent pour faire face au fonctionnement régulier de l’Etat.
A partir de votre constat, ne pensez-vous pas qu’il est temps de desserrer un peu l’étau ?
Cette décision reviendra aux chefs d’Etats de la CEDEAO, à qui nous allons rendre compte de ce que nous avons vu et entendu et formuler des suggestions.
Pensez-vous que l’option de l’intervention militaire va être mise en application ?
J’espère qu’on n’en arrivera pas là. A partir du moment où nous avons entamé les négociations, plaise à Dieu nous trouverons une solution pacifique de sortie de crise’’.