Dans notre parution d’hier, nous vous parlions de la réforme du secteur des engrais initiée par l’Etat du Niger et ses partenaires. Mais des intérêts particuliers se sont mis en travers de cette réforme. Conséquence : les résultats escomptés de cette réforme des engrais ne seront pas au rendez-vous.
La réforme, un échec patent
Le secteur des engrais est libéralisé dans le souci de rendre disponible et accessible aux producteurs des intrants de qualité sur l’ensemble du territoire national. Pour ce faire, il est créé à travers un décret du 12 janvier 2018, le Projet d’appui à la réforme du secteur des engrais au Niger (PARSEN) dont l’objectif est l’augmentation de la demande des engrais, l’implication du secteur privé et le renforcement des capacités de l’ensemble des collèges d’acteurs de la chaine de valeur des engrais au Niger. La Centrale d’approvisionnement en intrants et matériels agricoles (CAIMA), elle, est interdite de passer de nouvelles commandes ou de contrats d’importation d’engrais. Elle devrait se contenter d’appliquer les mesures prévues dans la réforme du secteur des engrais sous le contrôle de l’Observatoire des marchés des engrais au Niger (OMEN).
L’importation et la distribution des engrais étant désormais une affaire du secteur privé, les producteurs vont avoir de la peine à s’approvisionner. On assiste à une spéculation autour des prix des engrais. Le sac de 50 kg d’urée passe de 13.500 francs à 36.000 francs. Il en est de même pour le sac de 50 kg de NPK et de DAP. Avidité des opérateurs économiques privés à réaliser de substantielles marges bénéficiaires ? Pandémie à coronavirus qui a impacté l’économie mondiale ? Quoi qu’il en soit, ces prix sont insupportables pour les producteurs, alors même que certains stocks d’engrais sur le marché national ne répondaient pas aux normes de qualité. Et dire que l’Etat avait renoncé, depuis le 1er janvier 2021, aux prélèvements fiscaux et douaniers pour permettre que les prix des intrants agricoles soient accessibles aux populations. D’où la nécessité de revoir les missions de la CAIMA.
Ramener la vente des engrais dans le giron de CAIMA
La situation actuelle du secteur des engrais doit inciter le CNSP et le Gouvernement à remettre la CAIMA en selle, elle doit redevenir la structure publique régulatrice du marché des engrais qu’elle a été, au grand bonheur des producteurs. La souveraineté politique passe par la souveraineté alimentaire. Et il est indéniable que le développement de l’agriculture nécessite l’accompagnement des producteurs. ‘’Il est souhaitable que l’Etat puisse injecter de l’argent dans le secteur des engrais pour donner du souffle aux producteurs. C’est la seule alternative qui sied pour que les prix des engrais puissent connaître une baisse’’, a dit le président du Conseil d’administration de la Plateforme paysanne, Bagna Djibo. Et l’argent, il en existait déjà.
De la gestion du fonds de roulement
Au moment où l’Etat du Niger était en discussion avec le MCC américain, il négociait avec la coopération allemande un don de 50.000.000 d’euros (32,8 milliards de francs CFA) dont 20.000.000 d’euros (13,12 milliards) destinés à l’achat et à la vente d’engrais et d’aliment bétail à travers la CAIMA. Le produit de cette vente, dit fonds de roulement, sera rétrocédé par la coopération allemande (Kfw) à la CAIMA : 8 milliards de francs CFA logés à la BAGRI et 700 millions à la Banque Atlantique. Il faut dire que, contrairement au partenaire américain, l’Allemagne n’avait jamais voulu qu’on retire la CAIMA du secteur des engrais. Mais comment ce fonds de roulement est-il géré ? Dans une déclaration publique datée du mercredi 4 octobre 2023, le Bureau exécutif du syndicat national des travailleurs de la CAIMA (Synatrac) a dénoncé la mauvaise gestion du fonds susdit imputée au directeur général de la Centrale, Harouna Mahamadou, en place depuis janvier 2018. Le directeur comptable et financier de la CAIMA serait exclu des paiements des fournisseurs dans le cadre de ce fonds de roulement. Ces paiements seraient-ils l’affaire exclusive du DG/CAIMA et de son directeur de passation des marchés ? Ce directeur de passation des marchés serait-il un proche parent du DG au point focal du fonds de roulement au sein de KFW ? Comment ce fonds de roulement avait-il été géré ? La CAIMA en tant qu’EPIC n’a pas droit à un Directeur de passation des marchés. Les textes qui régissent cette structure sont donc piétinés. D’où la nécessité d’une inspection, car il s’agit de deniers publics.