Les derniers événements que nous avons vécus ces mois-ci tendent à brosser un paysage politique qui laisse à désirer. De plus en plus, tout le monde subodore qu’il faut mettre la démocratie de type libéral entre parenthèses, au moins pour quelques années. Nous parlons pour le Niger et, par ricochet, pour toute l’Alliance des États du Sahel (AES). Dans ces trois (3) États, l’Armée a fait irruption sur la scène politique pour, dit-elle, nettoyer les écuries d’Augias. Et ensuite remettre le pouvoir aux civils, après une transition, plus ou moins courte, au bout de laquelle des élections libres et transparentes auront été organisées. Cheminement idyllique qui ne correspond pas à la réalité qui nous saute aux yeux.
Les priorités d’une transition
A les entendre, le motif principal ayant poussé nos prétoriens à franchir le Rubicon, en renversant un ordre constitutionnel établi, est d’ordre sécuritaire. Ils sont venus, dernier rempart, pour sécuriser le pays. Et ils ne repartiront pas sans avoir accompli ce devoir sacré. Le hic, c’est que personne ne peut évaluer combien de temps prendra cette mission. Un an ? Deux ans ? Cinq ans ? Dix ans ? Ou ad vitam aeternam, comme inscrit dans l’ADN du soldat ? Sur des critères subjectifs, ou abscons, ‘’on ’’nous oblige à fixer, au petit bonheur la chance, la durée d’une transition militaire. Mais qui, légitiment, peut et doit s’en charger ? La réponse coule de source : un Conseil Inclusif de Transition. Oui, encore faudrait-il que ce Conseil soit mis en place, bénéficie d’une certaine crédibilité, et des moyens d’action requis. Au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les choses ont l’air de traîner sur ce point-là. Les dates de fin de transition ne sont pas encore bien déterminées. On navigue à vue. Quand ce n’est pas une stagnation pure et simple. Un immobilisme calculé, en vue d’une perspective inavouée…
L’exemple nocif de Mahamat Idriss Deby Itno
Il avait juré tous ses saints qu’il remettrait, après la transition qu’il dirige, le pouvoir, à des civils, au bout d’à peine trois (3) ans. Autant en importe le vent… Les années susdites sont passées. L’usurpateur du pouvoir est toujours en place et s’apprête, contrairement à ses promesses, à être candidat aux élections présidentielles qu’il va organiser dans quelques mois, et, naturellement, les gagner, haut la main. Cet exemple ne peut qu’encourager tous les autres prétoriens, venus au pouvoir par effraction, à faire de même. C’est-à-dire, à s’éterniser au pouvoir. Au diable la démocratie et tous ses avatars !
Les préjugés ambigus
La guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée à des militaires, dit-on. Pour pasticher cet aphorisme, on peut dire que la politique est une chose trop sérieuse pour être confiée à des civils. Surtout que les hommes en kaki ont suivi le même cursus que les civils et fréquenté les mêmes grandes écoles qu’eux. Il n’ont donc plus le complexe du ‘’sac à dos ‘’, c’est-à-dire, du non- érudit qui ne peut réfléchir de lui-même, et attend qu’on lui dicte des instructions. La question fondamentale se pose alors de savoir si le fait de porter l’uniforme est nécessairement un handicap pour faire de la politique ? Cela n’a jamais été vrai par le passé et ne peut l’être plus aujourd’hui qu’hier. Nos prétoriens sont amenés à la certitude qu’ils ont autant droit que les civils, à conquérir la magistrature suprême, et à l’exercer. Ayant accompli le premier pas, au nom de quel principe national ou universel, faut-il renoncer à faire le second ?
La sortie de la CEDEAO
Nous ne pensons pas que les coups d’Etats perpétrés, aussi bien au Niger, que dans les autres États de l’AES, aient eu pour objectif premier de quitter la CEDEAO et ainsi ne plus être soumis à des règles inadéquates et, en fin de compte, s’éterniser par ce biais au pouvoir. Ils n’ont pas planifié un tel déroulement, mais on peut dire qu’ils ont eu la latitude de saisir cette opportunité de sortie de la CEDEAO pour créer une dynamique, in fine, leur permettant de rester, d’une manière ou d’une autre, au pouvoir. Dans la circonstance, l’idée d’une Alliance des États du Sahel allait de soi, parce qu’il n’y avait pas une autre alternative. La dynamique ainsi créée, débouchant sur une confédération, offre un prolongement du pouvoir sous d’autres aspects acceptables, par la communauté internationale. La forme juridique de la confédération demande, certes, à être affinée, mais, au final, il y aura nécessairement un triumvirat qui inventera un modus operandi donnant à chacun d’eux une pérennité à la tête de leur État respectif. Pour dire les choses crûment : les prétoriens du Niger, du Burkina Faso et du Mali sont au pouvoir pour un bon bout de temps. Sauf incident où accident imprévisible ou imprévu. Mais il n’est pas dit que les partis politiques soient pour autant sacrifiés. Ils ont un rôle de garde-fou dont aucun pouvoir ne peut se passer. Et leur effacement provoquerait, irrémédiablement, l’isolement du pays où groupe de pays qui en ferait ça, ou leur profession de foi.