L’ancien président de la République, Issoufou Mahamadou, a participé les 17 et 18 février derniers, au sommet de l’Union africaine en marge duquel s’est tenue une réunion sur la Zlecaf (Zone de libre-échange continentale africaine) dont il est auréolé du titre de champion. Un déplacement à l’étranger sur invitation personnelle du président de la Commission de l’UA, Mahamat Faki, qui fait couler beaucoup d’encre et de salive sur les réseaux sociaux et les médias traditionnels. Nous nous sommes entretenu avec Djibrilla Baré Mainassara, Ancien cadre du Ministère du Commerce, de l’Industrie et de l’Artisanat, Ancien Interne au siège de la BCEAO, ancien Conseiller spécial du président de la République pour les questions économiques et financières et candidat l’élection présidentielle 2020-2021 au titre de l’UDFP Sawaba. L’entretien se focalise essentiellement sur les enjeux de cet accord de libre-échange continental.
L’Enquêteur : M. le président, en tant qu’économiste, pouvez-vous nous dire en quoi la Zlecaf représente une originalité pour notre continent ?
M. Djibrilla Baré Maïnassara : D’abord, une chose à retenir : à la base de ce projet, le constat avait été fait qu’en Afrique, 16% seulement du commerce se fait entre pays du continent, ce qui est insignifiant en comparaison avec l’Europe où, 70% du commerce est réalisé entre les Etats membres de l’Union. L’objectif de la Zlecaf était de dynamiser ce commerce intra-africain, en supprimant certaines barrières douanières. Ce qui n’est pas nouveau à travers le monde. Mais contrairement à l’affirmation selon laquelle avec la création de la Zlecaf, ‘’les Africains inventent une arme commerciale pour résister aux puissances qui les exploitent’’, il ne s’agit pas d’une originalité, mais bien d’une version africaine des accords de libre-échange régionaux, dits méga-accords libre-échangistes, qui étaient alors à la mode au début du siècle. On peut ainsi, à la limite, considérer la Zlecaf, selon les termes même d’une économiste malgache qui a participé à son élaboration, comme ‘’un puissant instrument pour mieux s’impliquer dans le nouvel ordre économique mondial’’. L’ordre économique en question étant bien dont le pilotage est assuré par les puissances économiques traditionnelles, avec tout de même, une participation remarquée de la Chine devenue deuxième économie mondiale. En fait, la Zlecaf pourrait, à la limite, être considérée comme une des nécessités devant contribuer à l’aspiration de l’Agenda 2063 de l’Union Africaine à éliminer ‘’toutes les formes d’inégalité, d’exploitation, de marginalisation et de discrimination systématiques’’. Il vous souviendra que lors du lancement de la Zlecaf en 2019, l’un des plus grands syndicats du Nigéria, le Congrès du Travail du Nigeria, a exprimé son inquiétude, estimant que le libre-échange pourrait creuser les écarts entre les nations africaines. Pour son président, AyubaWabba, le traité de libre-échange est d’inspiration ‘’néo-libérale’’ et dans un communiqué, il l’avait même qualifié ‘’d’extrêmement dangereux’’ et de ‘’radioactif’’. Même si depuis, ce pays est rentré dans les rangs et a même pris le leadership du combat contre les pays africains souverainistes.
Peut-on en déduire que notre pays gagnera beaucoup en termesde développement de son commerce ?
Attention, moi je ne peux le dire. Il faut être prudent sur ces questions. En général, si vous voyez les occidentaux s’activer pour assurer la promotion de la Zlecaf, c’est qu’ils sont les premiers gagnants. Ceci au nom du sacro-saint principe, ‘’pas d’intérêt pas d’action’’. Pour le cas de la Zlecaf, comme pour toutes les organisations internationales pilotées par le monde occidental, il y aura une minorité de gagnants et beaucoup plus de perdants
Vous savez bien qu’avec le libre-échange ‘’le commerce, c’est la guerre’’. Et dans cette guerre, les gagnants sont, en général, les mêmes : les économies libérales les plus dynamiques, qui sont le plus souvent à l’initiative de la vague actuelle des projets d’accord de libre-échange. Notre continent compte 33 pays classés Pays les Moins Avancés (PMA) sur les 47 au monde. Tirez en vous-même la conclusion. Pour le cas de nos pays du Sahel et particulièrement le nôtre, où même la simple aiguille pour la couture ou la simple boîte d’allumettes sont importées, vous avez la réponse à votre question. Vous savez que notre pays est considéré comme un pays d’élevage, mais paradoxalement, 75% du lait que nous consommons est importé. Alors allez savoir quels avantages notre pays peut tirer à court ou moyen terme de la Zlecaf !
Pouvez-vous nous dire sur quelles bases se font les négociations dans le cas de la Zlecaf ? Qu’est–ce que notre pays doit faire pour tirer un avantage de la Zlecaf, aussi tenu soit-il?
Vous le savez, comme dans tous les accords, les États partenaires sont supposés négocier sur la base des avantages compétitifs de leurs économies respectives. Les accords reflètent aussi les inégalités entre secteurs au sein des économies nationales, en matière de compétitivité internationale. Tant pis alors pour certains secteurs économiques locaux à sacrifier, en général au profit des transnationales opérant localement.
Souvenez-vous qu’au départ, d’après les initiateurs du projet, cette zone pouvait devenir, à terme, la plus grande zone de libre-échange du monde. L’Union africaine espérait augmenter ainsi de 60% le commerce intra-africain puisqu’en 2017, seuls 16% des échanges commerciaux des pays africains s’effectuaient avec d’autres pays du continent. L’objectif était de créer un marché d’1,2 milliard de consommateurs sans frontières ni barrières douanières.
Pour répondre à votre seconde préoccupation, notre pays,confronté à l’insécurité et à la famine, avec une monnaie (le FCFA) surévaluée, ne pourrait profiter de la Zlecaf à moyen terme que si nos dirigeants changent complètement leur fusil d’épaule en revisitant la politique énergétique et fiscale du pays, et en se penchant très sérieusement sur l’éducation et la santé. Ce, d’autant plus que le tout premier facteur le développement d’un pays, c’est le capital humain. La création d’un tissu industriel est à ce prix. Il faut à tout prix éviter la malédiction du pétrole. Je crois que nosnouvelles autorités ont pris pleinement conscience de cesimpondérables, en se retirant de la CEDEAO et en créant l’AESavec un programme subséquent.
Puisque, selon de nombreux observateurs, le président sortant a fait échouer la renaissance, savez-vous alors ce qui fait courir notre champion ?
De quel champion vous parlez et dans quelle matière ?
Je parle du champion de la Zlecaf. Qu’est-ce que vous pensez de son activisme depuis 2019 avec sa désignation comme champion de la Zlecaf ?
M. le journaliste, est-ce que vous pouvez me permettre d’esquivercette question ?
Non M. le président, faites l’effort de donner une réponse pour nos lecteurs. Donc, je répète ma question : que pensez-vous de l’activisme du champion de la Zlecaf ?
Puisque vous insistez, je vais devoir déroger à mes principes de ne pas m’exprimer sur des questions évidentes. En son temps, je m’étais exprimé sur le sujet en adressant une lettre ouverte à l’intéressé dans votre organe. Je m’étais posé la question de savoir pourquoi notre pays dont l’industrie est insignifiante, devait dépenser 450 milliards de nos francs – c’était le chiffre avancé par les autorités-elles mêmes – pour accueillir un sommet de l’Union Africaine. Le principe avait été abandonné par l’institution, du fait des dérapages financiers observés par les gouvernants des pays organisateurs. Souvenez-vous que des dizaines de milliers de kiosques avaient été détruits dans la ville de Niamey, plongeant des dizaines de milliers de familles dans le désarroi. Certains en sont devenus fous, d’autres étaient obligés de s’exiler dans la sous-région. Notre président qui voulait se faire désigner champion pour sa gloriole avait plongé notre pays au dernier rang du classement de l’Indice de Développement Humain depuis 7 ans déjà et on dénombrait des dizaines de milliers de morts sur le front de l’insécurité et autant de déplacés internes dans les zones de Tillabéry et Diffa. Alors de quel champion devrait-il être question ? Celui du développement, du sous-développement ou celui de l’insécurité ou des trois à la fois ?
Allah SWT, étant au contrôle, souvenez-vous, quelques mois après qui a coûté au pays le plus pauvre du monde des centaines de milliards de FCFA en dépenses de prestige. La COVID 19 est venue tout balayer sur son passage. Tous les échanges inter Etats ont été interrompus. Sur un plan purement industriel et commercial, les dernières entreprises industrielles significatives ont jeté l’éponge du fait d’une fiscalité sauvage instaurée par Massoudou Hassoumi, alors ministre des Finances. C’est tout ce que je peux vous dire sur la question ou plutôt vous redire sur une question sur laquelle je m’étais déjà exprimé par le passé.
Votre mot de la fin ?
Mon grand frère est fort parce qu’il a tout de même pu décrocher le Prix Mo Ibrahim de la bonne gouvernance. La communauté internationale a jugé qu’il est un démocrate hors pair. Il n’y a que lui pour réussir un tel exploit, même si…C’est une grosse prouesse, pour ceux qui le connaissent en interne. Je vous concède également qu’il faut être un super champion pour réussir la prouesse de classer au dernier rang du classement IDH un pays qui possède du pétrole, de l’uranium, de l’or, du fer, du charbon, du phosphate, du manganèse, du molybdène, des métaux rares, de l’eau, du soleil 365 jours sur 365, (excusez du peu), la population la plus jeune du monde. Si en plus, cerise sur le gâteau, le pays détient le record de premier exportateur mondial de mendiants, moi, je n’ai plus rien à dire. Je cherche à être démenti. Qu’ALLAH SWT bénisse le CNSP qui nous a sorti des ténèbres.
Labou Sanni no – Zance Kassa ne !
Merci M. le président
Propos recueillis par I. Seyni