Au Tchad, la manifestation de ce 20 octobre 2022 contre la prorogation de la transition militaire a viré au carnage. Soutien affiché et inconditionnel du pouvoir militaire à N’Djamena, Bazoum Mohamed se retrouve coincé dans la nasse tchadienne.
Un ‘’franco-compatible’’
Dix-huit (18) mois après avoir succédé à son père (mort le 20 avril 2021), le général Mahamat Idriss Déby s’est récemment offert une prorogation de 24 mois. Cette trituration est la résultante d’un ‘’Dialogue national souverain et inclusif’’ boycotté par une large partie de l’opposition politique, la société civile et les principaux mouvements armés dont le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (Fact). En plus d’avoir rallongé son pouvoir de 2 ans, Déby fils s’est aussi adjugé la possibilité de se porter candidat à l’élection présidentielle censée mettre fin à la transition en cours. La France, très hostile à l’égard des autorités maliennes de transition, n’a pas réagi face à la dynastisation du pouvoir au Tchad. « Je rappelle que le Premier ministre malien est l’enfant de deux coups d’État, si je puis dire. Puisqu’il y a eu un coup d’État en août 2020 et un coup d’État dans le coup d’État. Donc la légitimité du gouvernement actuel est démocratiquement nulle », a déclaré Emmanuel Macron ce 30 septembre 2021. De quelle ‘’légitimité démocratique’’ peut se prévaloir Mahamat Idriss Déby ? La France et le régime de Niamey ne se posent pas cette question. ‘’Franco-compatible’’ à l’extrême, Bazoum Mohamed s’aligne aveuglement derrière toutes les positions de Paris.
Démocrate de façade
Le ’’Dialogue national souverain et inclusif’’ tchadien a été une grossière mascarade chaudement applaudie par Paris et Niamey. Pour se faire représenter à la cérémonie d’investiture de Mahamat Déby ce 10 octobre 2022, Bazoum Mohamed a dépêché son Premier ministre à N’Djamena. « Notre régime est de nature démocratique, et je suis un militant de la démocratie, ce qui m’autorise à dire ce que je pense lorsque cette dernière est menacée », a déclaré Bazoum Mohamed dans les colonnes de Jeune Afrique pour fustiger les autorités de transition maliennes. Au Tchad, la démocratie n’est pas que menacée, elle est enterrée depuis l’accession au pouvoir d’Idriss Déby en 1990. Aujourd’hui, c’est Déby fils qui tente de pérenniser l’entreprise autocratique familiale. En se montrant d’un côté affable avec N’Djamena et de l’autre très critique envers Bamako, le président nigérien, ce ‘’militant de la démocratie’’, s’englue dans ses propres contradictions. Si, des décennies durant, la France soutient, tolère et épaule la dictature tchadienne, c’est bien parce qu’elle défend ses intérêts dans ce pays. Mais quels intérêts le régime de Niamey poursuit-il en s’accoquinant avec Déby fils ? La raison en est que Bazoum Mohamed s’aligne d’emblée sur la position française pour simplement plaire à l’Élysée. C’est le cas au Mali et au Tchad.
Pris dans la nasse
De crainte de s’aliéner davantage l’opinion publique tchadienne, Paris s’est très vite fendu d’un communiqué : « Des violences sont survenues ce matin au Tchad, avec notamment l’utilisation d’armes létales contre les manifestants, ce que la France condamne », souligne le Quai d’Orsay. Paris «ne joue aucun rôle dans ces événements, qui relèvent strictement de la politique intérieure du Tchad. Les fausses informations sur une prétendue implication de la France n’ont aucun fondement », lit-on dans le document. Question : Bazoum Mohamed va-t-il emboîter le pas à Paris pour, à son tour, condamner le carnage perpétré par le régime de Mahamat Déby ? Un fait est certain, le président nigérien s’est aliéné l’opinion publique de son pays depuis fort longtemps. Les observateurs guettent la nouvelle posture de Bazoum Mohamed qui est pris dans la nasse tchadienne. Jusqu’où ce dernier ira-t-il dans ses errements diplomatiques ? Jusqu’où va-t-il se laisser embobiner par une France en perte de vitesse en Afrique ? Autant de questions en suspens.