Rarement un sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO a suscité autant d’intérêt sur le plan international comme cette 64e conférence ordinaire tenue dimanche 10 décembre 2023 à Abuja, la capitale nigériane, siège de l’institution communautaire d’intégration économique ouest-africaine.
Jugez-en ! Pour une rencontre exclusivement africaine convoquée pour débattre de la gestion des crises politiques nées d’une prise du pouvoir par l’armée dans 4 pays de l’espace sahélien, les délégations des pays occidentaux et institutions internationales étaient aussi nombreuses que celles africaines.
Cette mobilisation exceptionnelle de délégations venues de l’Occident au sommet n’est certainement pas fortuite. Elle pourrait se justifier par la ferme détermination des juntes militaires au pouvoir en Guinée Conakry, au Burkina Faso, au Mali et au Niger de mener une véritable lutte de libération de leurs pays du joug de la France néocolonialiste et impérialiste.
Comme ressorti dans le communiqué final du sommet, les travaux des chefs d’Etat et de gouvernement ont été dominés par l’examen de l’évolution des processus de transition dans les trois pays (Burkina Faso, Guinée Conakry et Mali) avec une focalisation particulière sur la situation du Niger où le processus n’a même pas encore démarré, plus de 4 mois après le renversement du président Bazoum du pouvoir.
Une situation entièrement imputable à la CEDEAO, qui tient coûte que coûte à la libération et la réinstallation de Bazoum dans le fauteuil présidentiel ainsi que la réhabilitation de toutes les institutions dissoutes, sachant pertinemment que le Conseil national pour la sauvegarde de la partie (CNSP), l’organe politique de la junte militaire, ne fera jamais droit à cette requête.
Devant la résilience des Nigériens aux effets drastiques de ses sanctions illégales et criminelles, jamais appliquées à aucun autre pays de l’espace communautaire, la CEDEAO a probablement réalisé qu’elle n’avait aucune chance de remporter le bras de fer rigide avec le Niger et qu’il lui fallait lâcher du lest.
Surtout qu’il y a des pays de l’espace communautaire qui se sont désolidarisés des sanctions de la CEDEAO pour soutenir le Niger, une attitude déplorée par le président de la Commission de l’institution, Touray Alieu.
‘’Malgré l’application réussie des sanctions, nous avons observé avec inquiétudes certaines violations des sanctions, notamment le mouvement massif d’argent liquide par des individus à travers les frontières, le volume élevé de marchandises en transit à travers le Burkina Faso pour atteindre le territoire du Niger et la contrebande à travers les frontières poreuses et les voies navigables intérieures’’, a regretté Alieu.
C’est pour ne pas perdre la face, mordre honteusement la poussière sans pouvoir se relever, que la CEDEAO a édicté ses conditions pour la levée graduelle des sanctions contre notre pays. En formulant comme exigence première la libération sans condition du président déchu Bazoum et sa famille. Histoire sûrement de poser des obstacles à l’avancée des négociations au regard de la délicatesse de l’exigence.
L’enjeu pour l’Occident
Est-ce réellement pour apprécier l’évaluation des processus de transition dans les trois pays et le blocage de la situation au Niger que les partenaires occidentaux ont massivement pris part à ce sommet crucial de la CEDEAO ? Le doute est permis ! Le maintien ou la levée des sanctions contre le Niger ainsi que les mesures d’accompagnement au profit des pays en transition sont loin d’être une véritable préoccupation pour la France et l’Union européenne notamment. D’autant qu’elles ont aussi énoncé des sanctions contre lesdits pays.
L’enjeu principal pour ces partenaires occidentaux traditionnels, c’est surtout d’apprécier la posture de la CEDEAO vis-à-vis de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) créée par le Burkina Faso, le Mali et le Niger, en vue de la conquête et l’affirmation de leur véritable souveraineté. La création de cette alliance du Liptako Gourma, qualifiée ‘’de divertissement’’ par le président nigérian Tinubu pour distraire la CEDEAO, inquiète au plus haut point la communauté internationale, qui a possiblement exigé de l’organisation régionale de prendre des mesures pour l’empêcher de prendre son envol. N’est-ce pas l’objectif poursuivi par la Conférence des chefs d’Etat en disant ‘’rejeter toute forme d’alliance visant à diviser la région et promouvoir des intérêts régionaux en son sein ?’’
Mais comme l’injonction seule ne suffit pas, il faut casser l’élan en cherchant à fragiliser la dynamique du groupe, à travers des clins d’œil au Burkina Faso et au Mali pour esseuler le Niger qui n’a encore enclenché son processus de transition. En quoi faisant ? La stratégie sournoise de la CEDEAO a consisté à lever les sanctions visant directement les autorités des deux pays notamment la levée ‘’des interdictions de voyage et des autres sanctions ciblées imposées aux trois Etats membres’’.
La Conférence a aussi engagé la Commission ‘’à continuer d’aider les Etats membres en transition à relever les défis sécuritaires, et à leur fournir une assistance humanitaire’’. Ces ‘’libéralités inattendues’’ de la CEDEAO peuvent-elles seulement suffire pour casser l’élan de création de l’AES fortement soutenu par les populations des trois pays ? Le doute est permis !