Les députés nationaux ont adopté, jeudi 22 juin 2023, le nouvel hymne les yeux fermés, sans prendre le soin d’analyser sa profondeur, alors qu’il comporte beaucoup d’insuffisances criardes, selon Dr. Souley Adji, enseignant-chercheur en sociologie politique à l’université de Niamey. Juste une illustration : il réduit désormais la superficie du territoire national à ‘’des rives du fleuve Niger aux confins du Ténéré’’.
L’Enquêteur : L’adoption, la semaine dernière, du nouvel hymne national par l’assemblée nationale, suscite actuellement un tollé de critiques acerbes au sein de l’opinion nationale. Ces réactions sont-elles justifiées ?
Dr Souley Adji : Pour les citoyens qui connaissent l’hymne, notamment son contenu discursif et sa musicalité, généralement ceux qui sont scolarisés, il est certainement surprenant de présenter au public une œuvre pauvre en maints points de vue : langage, rythmicité, emphase, etc., sans même parler de sa fonction identificatrice. Il ne s’agit pas de changer pour changer, mais de faire mieux que l’auteur de l’œuvre bannie – juste pour quelques vers inappropriés. L’Assemblée nationale s’est précipitée pour valider le nouvel hymne, sans doute pour pouvoir vite jeter aux oubliettes cette œuvre dorénavant maudite, sans même prendre le temps d’étudier en profondeur la qualité de la nouvelle production. Les parlementaires ont donc davantage mobilisé leur émotion que leur raison, l’unanimité s’étant faite pour son adoption. Au regard des insuffisances notoires du texte et de la mélodie, les Nigériens ont été surpris, voire frustrés de voir leur Parlement n’émettre aucune réserve ni critique. En ce sens, on peut donc dire que leurs réactions sont légitimes.
Le nouvel hymne prône un certain nombre de valeurs dont la paix, la liberté, l’union, la dignité, la fierté. Les actes de gouvernance qui sont en train d’être posés actuellement par le pouvoir en place sont-ils en conformité avec la quête de ces idéaux ?
Ce n’est pas d’abord une question de valeurs, mais principalement d’objectifs visés par les commanditaires de l’œuvre. Le reste, tout le reste vient après. En effet, tout dépend de ce que l’on cherche à atteindre ou à réaliser. Est-ce pour appeler le peuple à la résistance contre un oppresseur, ou pour célébrer un accomplissement, une victoire, un événement, tel que l’avènement d’une ère démocratique, par exemple ? Ou bien encore est-ce pour consolider l’unité nationale, la fraternité, la paix, etc.? Faute de définir des objectifs, l’on risque fort de produire des généralités voire des lieux communs, détachés de toute réalité sociologique et donc peu susceptible de toucher les cœurs et les tripes des citoyens. Ensuite, en fonction des objectifs ciblés, l’on cherche à identifier les valeurs et les principes mobilisateurs, soient-ils traditionnels ou modernistes, locaux, panafricains ou universels. La population étant le groupe cible, l’on cherche, du reste, à partager cette création à l’ensemble des groupes ethniques et des régions qui la constituent, de manière à susciter un consensus en son sein. L’on doit, par ailleurs, tenir compte de la langue (ici, c’est le français qui est adopté) de manière à respecter les principes de la versification, de la syntaxe, etc.
Or, l’ouvrage proposé comme hymne national paraît très éloigné de cette architecture, des canons de création d’une œuvre destinée à servir de repères, de rappel, d’identification à une communauté nationale. Parce que la forme, la logique littéraire du texte compte aussi énormément. Prenez par exemple ce vers : ” pour un Niger de paix libre, fort et uni”. Ici, la logique a été rompue : étant donné que c’est l’union qui, dit-on, fait la force, il n’y a aucune raison que l’adjectif “uni” vienne après l’adjectif ” fort” !
On peut aussi récuser le substantif “Frères et sœurs, Enfants d’une même patrie”, alors même nous avons accédé au statut de “citoyens”, terme qui transcende la fraternité, la famille ou toute autre considération d’unité. Ensuite, quand on parle de citoyens responsables, il n’y a guère plus de place pour les enfantillages. L’auteur aurait à la rigueur utilisé le substantif “Fils et filles d’une même nation” au lieu d’infantiliser des communautés d’individus qui aspirent à forger un monde nouveau. Au Burkina par exemple, l’on n’a pas à faire à des Enfants intègres, mais à des Hommes intègres. L’enfance, c’est le jeu, la frivolité, la légèreté tandis que l’adulte renvoie au sérieux, à la maturité, à la responsabilité, à la clairvoyance. La Patrie ? Là aussi, le terme paraît très restrictif, celui de Nation étant certainement plus indiqué, dans ce contexte où l’on ouvre la porte aux “citoyens du monde” voire où l’on aspire à créer l’unité africaine. On n’est plus dans les années 1960 où il s’agissait de créer un État, à développer le sentiment d’appartenance à un cadre géographique délimité et où les frontières étaient très poreuses. Sans épuiser la liste des digressions et imperfections syntaxiques et stylistiques, il paraît clairement que le Comité des experts a péché par excès de confiance à l’expression littéraire déployée. Ne parlons même pas des redondances et autres redites qui alourdissent le texte sans rien lui ajouter.
Quant au fond lui-même, je l’ai déjà évoqué plus haut. S’agissant par exemple de la dimension géopolitique, n’importe quel auditeur de l’hymne devrait être interloqué en entendant que le Niger a perdu une grande partie de sa superficie, puisqu’il se limite des berges du Fleuve Niger au Ténéré. Non seulement, l’on devrait s’abstenir de mention d’un lieu quelconque sur le territoire national, à moins alors de citer tous les repères géographiques, mais de surcroît, très peu de citoyens habitent dans cette bande. À dire qu’on dénombre 25 millions de Nigériens au total ! Ensuite, à défaut de définition des objectifs, l’on a occulté des problématiques structurelles nouvelles telles que la consolidation de l’État de droit et de la démocratie, la culture du genre et du changement climatique, dont le Niger est particulièrement concerné. Il semble donc que le nouvel hymne pêche ici par anachronisme, les enjeux et défis de l’heure étant complètement passés sous silence.
L’ancien hymne est jugé colon avec un relent de condescendance vis-à-vis de l’ex-puissance colonisatrice. Notre pays accueille aujourd’hui des forces militaires étrangères. Et on parle de liberté, de dignité et de fierté dans l’hymne. N’y a-t-il pas là un paradoxe saisissant ?
On en revient à la question des objectifs poursuivis. Dans le fond, s’il fallait absolument divorcer d’avec la culture du colonisateur, il eût fallu expurger surtout tous les textes hérités, notamment dans les domaines de la justice, de la santé, etc., qui continuent de régir encore les rapports des citoyens à l’État, certains datant même du code Napoléon. Il eût peut-être fallu aussi abandonner la langue du colonisateur, véhicule d’expression dans l’administration notamment. Pour ce qui est des valeurs citées proprement dites, elles doivent refléter les aspirations du peuple, la vision du pays dans un contexte de coopération intercommunale, d’où l’on ne peut donc systématiquement exclure les pays occidentaux, dont la France. Aux dirigeants actuels et futurs de rendre davantage responsable leur gestion de la chose publique. La question des bases militaires devrait se régler dans cette optique.
Propos recueillis par I. Seyni