Nigériens, voire Africains, quel que soit notre rang sur l’échelle sociale, nous avons tous conscience, de vivre en ces moments fatidiques, une page cruciale de l’histoire de nos pays, un tournant décisif dans l’évolution de nos nations, encore embryonnaires. Malgré tous nos efforts d’analyse rigoureuse des évènements, nous ne percevons que confusément comment les choses pourraient s’agencer pour combler tous nos espoirs en attente. Nous n’avons pas le recul suffisant, la distanciation nécessaire, pour décrypter les grands axes de notre saga. C’est ainsi que certains faits, en apparence anodins, peuvent échapper à notre sagacité, alors même qu’ils sont les graines de mutations essentielles perceptibles dans quelques décennies seulement.
L’avenue Charles De Gaulle débaptisée à Ouaga
Mine de rien, les Burkinabés ont franchi un pas de géant en débaptisant l’avenue Charles De Gaulle à Ouagadougou. Ils lui ont préféré le nom de Thomas Sankara, un natif du pays, que la volonté populaire a voulu réhabiliter. Le général De Gaulle, on le sait, a la stature de l’homme providentiel qui a sauvé son pays, la France, au siècle dernier. Figurez-vous que les grands vainqueurs de la deuxième guerre mondiale (USA, URSS, Grande Bretagne) ont failli la rayer de la carte du monde avec un statut d’excroissance de l’Angleterre ou des USA. On avait même commencé à battre sa nouvelle monnaie. Mais l’intransigeant et solide De Gaulle veillait au grain. Et la France a pu retrouver son rang d’antan, avec pour corollaire, ses colonies (à qui l’on octroiera des indépendances factices) ayant à leurs têtes des dirigeants Africains aux ordres et en adoration devant le général De Gaulle, leur ‘’père’’…
Que l’on veuille débaptiser un lieu, c’est dans l’ordre des choses. Sic trasit gloria mundi (ainsi passe la gloire du monde). Mais la tâche s’avère un peu délicate quand il s’agit d’un héros national de l’envergure de l’homme du 18 juin. Pour les Français, cette posture frise la provocation, ou, à tout le moins, un affront flagrant. D’autant plus que le nom qui détrône celui du général Charles De Gaulle n’est autre que celui de Thomas Sankara, un authentique révolutionnaire. Le message est clair et limpide. Thomas Sankara versus De Gaulle. La révolution remplaçant la réaction. Ce jalon est important. Mais il n’est pas le premier.
Les jalons éclairants
L’état de révolte précède toujours l’état de la prise de conscience, qui, elle seule, conduit à une révolution éclairée.
A « camp de Thiaroye » cela a été une révolte des tirailleurs sénégalais réclamant leurs dus. Ils ont tous été massacrés. Au Congo Kinshasa, déjà, la prise de conscience nait avec le combat de Patrice Lumumba, puis, par la, suite d’autres révolutionnaires tels que : Kwane Nkrumah, Sékou Touré, Modibo Keita, Djibo Bakary, et naturellement, Thomas Sankara. Parallèlement, les forces rétrogrades, néocoloniales et réactionnaires s’évertuaient à fabriquer leurs propres héros, leurs propres modèles, leurs propres têtes d’affiche. Ils ont pour noms : Felix Houphoiet-Boigny, Leopold Sedar Senghor, Alassane Dramane Ouattara, Patrice Talon, rien que des francophones… De toute évidence, un travail urgent de désaliénation des esprits s’impose. Pour reconnaître les nôtres, il faut les distinguer sans aucune ambiguïté, des suppôts de dynamiques exogènes.
Le soft-power
Finies les conquêtes par les armes. Aujourd’hui, les nations dominantes préfèrent passer par le soft-power que représente la culture des peuples, qui elle-même est le socle majeur de l’esprit humain. Qui tient ton esprit, tient ton portefeuille, donc ton développement économique. Il s’agit de faire comprendre à l’autre que l’on veut assujettir, qu’il n’est rien, ne vaut rien, ne peut rien faire de valable par lui-même. Sous-entendu, sans l’encadrement du dominant qui seul, a les bonnes clés. Voyez par exemple au niveau vestimentaire. Le costume cravate que certains s’obligent à porter même sous une chaleur accablante, pour mieux singer ‘’le Blanc’’, alors que sur ce plan, nous avons une longue tradition vestimentaire qui n’a rien à envier à celle des autres. Quand l’on voit les Africains valoriser leur propre culture en tout lieu en tout temps, cela met du baume au cœur. Par exemple lors d’un conseil des ministres. D’ailleurs, et vous l’avez certainement noté, ceux qui sont en costume cravate sont les premiers à rallier les forces centrifuges en cas de pépins.
La révolution a commencé
Au plan culturel et politique (entre autres), il est acquis qu’un pas décisif a été franchi au Sahel, et peut-être, dans toute l’Afrique de l’ouest, voire tout le continent. Qui sait si nous ne sommes pas en face des prémices des Etats-Unis d’Afrique avec la création de l’Alliance des Etats du Sahel ? Quoi qu’il en soit, rien ne sera plus comme avant. Rien ne risque d’être réversible. Voilà une vérité intangible. Alea jacta est (le sort en est jeté) !