Professeur, après le Mali en 2020, la Guinée en 2021 et le Burkina Faso en 2022, c’est au tour du Niger de connaître un coup d’État le 26 juillet 2023. Quelles sont, selon vous, les raisons qui ont pu amener les militaires à intervenir et renverser les régimes civils dans ces pays ?
Sur le plan politique, les régimes renversés sont tous d’obédiences socialistes. Les partis des présidents déchus sont membres de l’Internationale socialiste. Il s’agit : au Mali du Rassemblement Pour le Mali (RPM) de Ibrahim Boubacar Keita, de la Guinée du Rassemblement du Peuple de Guinée (PRG) de Alpha Condé, au Burkina Faso du Mouvement Populaire pour le Progrès (MPP) de Roch Marc Christian Kaboré et au Niger du Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDS) de Mahamadou Issoufou et Mohamed Bazoum. Le « copinage » socialiste était au cœur des campagnes électorales dans ces pays. Médiapart publie, en octobre 2015, « IBK, le symbole écorné de la politique africaine de Hollande » En 2020, le Ministre français socialiste Yves Le Drian a déclaré lors de sa visite au Niger que l’élection de Bazoum sera « une référence » pour l’Afrique. Ils ont tous été élus et/ou réélus suite à des élections fortement contestées. En Guinée, l’une des raisons du renversement du régime de Alpha Condé est le fait qu’il a modifié la constitution et s’est présenté pour un troisième mandat.
Sur le plan sécuritaire, les autorités militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont justifié l’action militaire par la dégradation continue de la situation sécuritaire dans ces pays. Ils ont également évoqué les questions de mauvaise gouvernance politique, économique et sociale. Ce qui explique le soutien populaire manifesté à l’égard de ces autorités militaires.
A la suite des événements du 26 juillet, le Niger fait face à des sanctions économiques et financières de la part de la CEDEAO et de l’UEMOA et une éventuelle intervention militaire. Quelles appréciations faites-vous de ces décisions ?
Je trouve ces décisions sévères et disproportionnées surtout pour un pays enclavé comme le Niger qui lutte depuis des années contre le terrorisme. Ces sanctions aggravent la situation socio-économique et ont des conséquences sur les populations déjà durement éprouvées par des années d’insécurité en même temps qu’elles renforcent les groupes terroristes. Sur la méthode, en Afrique, il existe à côté du cadre institutionnel de règlement des conflits un cadre traditionnel de résolution des conflits dont il faudrait tenir compte. Avant toute sanction, on aurait dû commencer par la négociation en impliquant les chefs traditionnels, les leaders religieux, les communautés des sages. Les organisations sous-régionales (CEDEAO et UEMOA) sont hors-sols, coupées des réalités africaines. C’est bien après l’application des sanctions qu’elles ont envoyé des délégations pour négocier. Les populations sont durement affectées par ces sanctions.
En ce qui concerne l’intervention militaire, il faut bien signaler qu’une intervention de la CEDEAO sans mandat du Conseil de sécurité est une violation fragrante des Droits Internationaux notamment du Chapitre de la charte de l’ONU : Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et acte d’agression. Toute intervention doit passer par une Résolution au Conseil de sécurité en activant ce chapitre qui permet à une coalition militaire d’intervenir quand la paix mondiale est menacée. Or dans ce cas du Niger, la paix n’est pas menacée. Les puissances éclairées, non radicalisées, disent qu’elles ne peuvent pas déclarer la guerre à une nation pour un individu et considèrent cette guerre d’inutile. Car il n’est pas dans l’intérêt de la communauté internationale de créer une nouvelle Libye. C’est pourquoi des nombreuses voix appellent à une solution diplomatique de cette crise.
Quelle analyse faites-vous de la situation sécuritaire au Niger et dans le Sahel ?
Le Sahel connaît une insécurité persistante depuis l’intervention militaire de l’OTAN en Libye en 2011 sous l’égide de l’Organisation des Nations Unions. Cette guerre et ses conséquences directes sur le Sahel ont favorisé l’installation des groupes terroristes au Sahel et particulièrement dans la zone du Liptako-Gourma. L’espace Sahélien constitue un « terrain de connexion » entre divers groupes terroristes. L’analyse des actions violentes menées par ces terroristes dans les pays du Sahel fait ressortir une progression inquiétante et montre qu’il constitue pour ces groupes un espace stratégique de recrutement, de repli tactique, de ravitaillement en armes et en vivres. L’objectif de ces groupes terroristes est de fragiliser et déstabiliser les États souverains constitués. La zone du Liptako-Gourma est un espace situé à cheval sur les frontières communes entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger. La vastitude et le caractère poreux des frontières en partage entre ces pays et notamment l’absence d’autorité laissent le champ libre aux terroristes qui y règnent en maîtres, semant la terreur, s’emparant des richesses locales, se livrant à des trafics de tous genres. Des pratiques qui se soldent par des conséquences désastreuses sur les plans politique, économique, social, culturel et environnemental. Ces conséquences ont pour noms des graves violations des droits humains et de l’état de droit sous toutes les formes. Des pertes en vies humaines, des déplacements massifs forcés des populations, des villages incendiés, des écoles fermées, le tissu socio-économique disloqué entraînant la remise en cause de l’autorité.
Du Liptako-Gourma se passe l’essentiel des attaques terroristes qui menacent la stabilité des trois pays pays et l’ensemble des États de l’Afrique de l’Ouest. Selon vous qui devez assurer la sécurité au Sahel ?
Il revient aux États d’assurer la sécurité au Sahel. La lutte contre le terrorisme a toujours été dans l’histoire des nations une question nationale avant toute autre alliance. Nous avons des expériences récentes en Algérie et en Mauritanie. Dans ces pays, c’est l’effort militaire combiné aux actions civiles qui a permis de mettre fin aux attaques terroristes et de les pousser plus au Sud. Les groupes terroristes se sont rabattus dans la zone du Sahel car ils étaient incapables de faire face aux forces de sécurité dans ces pays.
Les terroristes ont perpétré ces derniers jours plusieurs attaques dans la région de Tillabéri. Quelle évolution aura ce climat d’insécurité dans ce contexte de crise ?
Je pense que la lutte contre le terrorisme devient maintenant beaucoup plus cohérente avec les coordinations politiques nouvelles dans ces pays suite aux événements survenus au Niger. Le Niger est le chaînon manquant pour rassembler les pays de la zone du Liptako-Gourma qui concentre aujourd’hui l’essentiel des actions terroristes. Comme on l’a vu ces derniers jours, il va avoir quelques attaques sporadiques par-ci, par-là contre les FDS mais cela est normal au vu de la situation. Ces actions s’arrêteront dans les mois à venir face au rapport de force qu’instaure cette situation nouvelle. Le phénomène terroriste se déplacera ensuite plus vers les pays du golfe de Guinée (Côte d’Ivoire, Ghana,Togo et Bénin) où les groupes terroristes ont déjà des cellules (katibats) actives et mènent des attaques.
Quelles solutions préconisez-vous pour une lutte efficace contre le terrorisme au vu des enjeux stratégiques nouvelles ?
C’est bien maintenant que commence la vraie lutte contre le terrorisme. Il faudrait des solutions militaires nouvelles. A ce niveau la nomination des gouverneurs militaires dans les régions du Niger par le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) est une bonne décision qui va faciliter une meilleure coordination des actions militaires. Car dans ce contexte, seules les armées nationales, avec le soutien des populations, peuvent créer un rapport de force favorable. Toute réorganisation de l’armée devrait passer par la promotion de bonnes relations avec les populations et une lutte résolue contre les sévices et les représailles des groupes terroristes. Cette région du Liptako-Gourma est considérée comme une entité territorialement cohérente, composée de groupes d’États partageant des frontières communes. De ce fait, les conflits touchant l´un d´eux affectent directement ou indirectement les autres. La proximité géographique est à la fois une source de sécurité comme d´insécurité. Ceci justifie la mise en place de nouvelles stratégies de lutte contre le terrorisme dans la zone du Liptako-Gourma. Il faudrait sortir du cadre G5 Sahel et créer un nouveau cadre de Sécurité Collective entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger pour garantir la sécurité des États contre le terrorisme et toute agression armée. Les questions de sécurité entre ces États sont indissociables les unes des autres. C’est pourquoi ils doivent travailler en interaction et mettre en place de nouvelles stratégies de sécurité transfrontalière. Mais dans une guerre asymétrique, comme celle qui touche le Sahel, la solution militaire seule ne suffit pas. La population doit être mise à contribution dans la lutte contre le terrorisme. En effet, l’adhésion consciente et active de la population et des organisations de la société civile, des leaders religieux, des autorités coutumières, des médias est un enjeu essentiel pour gagner cette guerre. Le combat contre le terrorisme doit impliquer tous les citoyens. C’est un devoir civique et patriotique qui incombe à tous. L’État doit communiquer et inviter la population à plus de vigilance. Le terrorisme, c’est comme une épidémie. Lors du Covid-19, les États ont communiqué à travers des spots publicitaires dans les médias et montrer à la population comment se protéger contre la maladie. Sans la participation de la population, le terrorisme va continuer à se propager.