Par BORY Seyni*
Toute honte bue, le président Emmanuel Macron s’est finalement résolu à annoncer, lors d’une interview accordée dimanche 24 septembre 2023 à deux médias français en son palais, le rapatriement, en France, de son ambassadeur au Niger, Sylvain Itté et, dans la foulée, le retrait des troupes françaises basées au Niger «avant la fin de l’année».
De fait, M. Itté, le désormais ex-sans-papiers de Yantala-Bas a discrètement regagné Paris dans la nuit du mercredi 27 septembre via Ndjamena, au Tchad, tandis que les premiers éléments du contingent militaire français au pays ont fait leurs balluchons mardi 10 octobre 2023.
Tout ça, pour ça ! Il aura donc fallu deux mois, deux longs mois d’une épreuve de force dont l’issue –le départ d’un ambassadeur déclaré ‘persona non grata’ par le pays accréditaire, et le démantèlement de bases militaires dont les accords d’installation sont dénoncés par le pays d’accueil– ne faisait aucun doute, pour qu’Emmanuel Macron, d’habitude connu pour la promptitude de ses répliques, se soumette au principe de réalité.
Que de coups de menton et d’effets de manche, dans l’intervalle ! Dans le monde parallèle où se sont enfermés le président français, ses sous-fifres africains agissant au nom de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et quelques fonctionnaires de l’ancien régime sur la tête de qui le ciel est littéralement tombé au matin du 26 juillet 2023, il a même été –il semble qu’il soit toujours— question, de lever une armée de tirailleurs africains appuyés par quelques éléments français pour réinstaller Mohamed Bazoum au pouvoir. Comme aux temps des … colonies !
«On ne va pas faire la guerre au Niger. C’est une simple opération de police. On va à Niamey pour une intervention chirurgicale (afin de) réinstaller le président Mohamed Bazoum dans son fauteuil. Et puis, c’est tout. Le contingent de la Côte d’Ivoire –850 à un millier d’hommes—est prêt».
Assumant jusqu’au bout toute l’indignité du pantin arrivé au pouvoir dans la tourelle d’un char étranger et en souvenir des conditions dans lesquelles l’armée française l’a installé au pouvoir après avoir dégagé manu militari M. Laurent Gbagbo du Palais présidentiel en avril 2011, Alassane Dramane Ouattara expliquait ainsi, jeudi 10 août 2023, à la Radio Télévision ivoirienne (RTI) au lendemain d’un sommet de la CEDEAO à Abuja sur la question, le raid programmé sur Niamey pour libérer le soldat Bazoum.
Il est des moments où il vaut mieux se taire et passer pour un fou, que de parler et ne laisser aucun doute à ce sujet, dit une vieille maxime africaine.
Le propos de M. Ouattara est certes suffisamment bien articulé pour être celui de quelqu’un qui a perdu la raison, mais depuis sa tonitruante annonce, le 21 décembre 2019 à Abidjan en présence du président Macron, du lancement de la monnaie ECO-France-EURO en zone Union économique et monétaire de l’Afrique de l’ouest (UEMOA) en lieu et place de l’ECO-CEDEAO en gestation, plus grand monde ne prend au sérieux le chef de l’Etat ivoirien quand il s’agit de questions touchant l’ensemble sous-régional ouest-africain.
Au total, et au-delà des gesticulations des va-t’ en guerre de tout poil, la menace d’une intervention armée sous couvert de la CEDEAO en vue de la réinstallation de Bazoum Mohamed sur le fauteuil présidentiel a bel et bien vécu.
Sur ce chapitre, il ne s’agit pas de jeter le manche après la cognée ou même de baisser la garde : des officines vouées à la déstabilisation du pays sont à l’œuvre et ne lâcheront prise qu’en désespoir de cause. Il en est ainsi de toute lutte de libération nationale. C’est, pour ainsi dire, un combat à vie.
Il reste que l’hypothèque d’un raid CEDEAO et consorts est dans l’immédiat levée et que le temps est venu pour le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) de démontrer, par des actes, qu’il porte bien son nom et que le changement qu’il professe augure du meilleur pour la nation. L’adhésion populaire massive aux idéaux qu’il prône, jamais vue dans ce pays, a pour prix la refondation d’une république jalouse de son indépendance et de sa souveraineté, dans une conjoncture historique où les peuples africains ont décidé de prendre leur destin en main.
Tout ou presque tout a été dit sur les circonstances de la survenue des évènements du 26 juillet 2023. De la révolution de palais ayant mal tourné, au rôle trouble joué par l’ancien président Issoufou Mahamadou, chaque observateur, au pays et à l’étranger, y est allé de ses hypothèses.
En vérité, l’ex-président Bazoum était, dès sa prise de fonction et en connaissance de cause, en position «zugzwang», pour emprunter au lexique des échecs cette posture qui veut qu’un joueur soit contraint de bouger, sachant pourtant que tout mouvement est périlleux pour lui.
L’homme a –t-il cherché à s’affranchir de la pesante tutelle de son mentor, Issoufou Mahamadou, pour se constituer son propre réseau mafieux au sein de la nébuleuse du si mal nommé Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme ? La réponse est dans la question.
Promu au forceps à la tête de l’Etat pour «consolider» et «avancer» dans la voie définie au préalable par son prédécesseur qui a, dix ans durant, conçu et expérimenté un système politico-affairiste dit de la «Renaissance» à son service exclusif et des siens, Bazoum était en réalité en situation de co-présidence au vu et au su de tous, notamment ceux qui, par mauvaise foi, cynisme ou intérêt, crient aujourd’hui au renversement de la «démocratie».
A l’aune nigérienne, voire africaine, des fortunes colossales se sont constituées sous ce régime d’autant mieux verrouillé qu’il était présenté à Paris et dans plusieurs capitales européennes comme l’un des plus démocratiques du continent, dans un pays classé dix ans durant, sans solution de continuité, tantôt dernier tantôt avant–dernier du monde à l’Indice du développement humain (IDH) des Nations unies.
C’est la promesse faite par le général Abdourahmane Tchiani et ses compagnons de mettre à jamais un terme à ce système mafieux et de solder les comptes de la gestion de ses animateurs, quels qu’ils soient, qui a poussé des centaines de milliers d’hommes et de femmes, tous âges confondus à faire, pendant des mois, le siège de la base militaire française 101 et autres places fortes de Niamey et de toutes les grandes villes du Niger.
Si cette promesse n’est pas honorée, ces manifestants que l’on a vu braver, les mains nues, des convois militaires ou passer, des nuits entières, le pied de grue devant des bases militaires ou des chancelleries étrangères, vont remettre le fer au feu, et réinvestir la rue. Ce sera alors le réveil définitif du ‘Kalla Sourou’ land, cette complainte que chantent les jeunes rappeurs des quartiers populaires de Niamey pour fustiger l’apathie pudiquement appelée ‘résilience’ de leurs aînés devant la descente aux enfers imposée au pays du temps du «GURI SYSTEME».