L’Enquêteur : Le gouvernement a décidé d’augmenter unilatéralement le prix du litre de gasoil de 130 F CFA, invoquant un certain nombre de raisons parmi lesquelles la forte pression des pays voisins qui viennent se ravitailler chez nous à la pompe parce que ça coûte nettement moins cher que chez eux, le souci de ne pas rehausser les prix KW, du gaz domestique, etc. Comment appréciez-vous ces arguments du gouvernement ?
Dr Souley Adji : La malédiction, dite du pétrole, n’est décidément pas une vaine sentence ! Alors même que leur pays est devenu un producteur du pétrole, les Nigériens ne cessent de subir cette malédiction comme si le fléau du terrorisme ne suffisait pas déjà. Mais cette fois, il ne s’agit guère de groupes violents visant à déstabiliser la quiétude des citoyens, mais de leur propre gouvernement qui, sans crier gare, a décidé d’attenter davantage à leur pouvoir d’achat, avec l’augmentation incongrue et insolite du prix du gasoil à la pompe. Prenant prétexte de la guerre en Ukraine ou encore l’achat du carburant destiné à la consommation locale par nos voisins, le gouvernement a en effet imposé une hausse de 130 F CFA, alors même que le pouvoir d’achat des Nigériens est stationnaire depuis une bonne décennie, si elle ne régresse d’ailleurs pas pour nombre de catégories sociales. Cette mesure ne manquera en effet pas d’entraîner des effets néfastes dans l’économie, notamment dans les transports, où l’on devrait s’attendre à un fort renchérissement du prix des produits de première nécessité. Il est à constater tout d’abord que cette décision est brutale, sans concertation préalable aucune avec les acteurs du secteur, ni même avec les organisations de la société civile, luttant contre la vie chère. Un oukase qui intervient peu après la pénurie de gasoil dans les essenceries du pays. L’on peut y voir là le peu d’intérêt que le gouvernement attache au dialogue et à la paix sociale. Les autorités n’en font qu’à leur tête, persuadées peut-être du soutien de nombre de centrales syndicales et d’acteurs civiques dont les accointances avec le pouvoir sont depuis longtemps connues. L’on a même vu des administrateurs occupant des fonctions institutionnelles s’ériger en acteurs civiques, comme si la supercherie était leur manière d’être. Ce déficit de dialogue s’explique certainement par la faible estime manifestée par les autorités à l’endroit de nombre de structures prébendières et opportunistes. Dans le fond, au regard de la clé de répartition de cette hausse attribuant 61,20% à la Sonidep, dont nul n’ignore les turpitudes, il est fort à craindre qu’il ne s’agisse là que d’une manœuvre visant à renflouer les caisses de celle-ci. Antre de la gabegie et véritable vache à lait des autorités, cette entreprise est loin de remplir la mission régalienne de service public. A regarder seulement les comportements dépensiers ostentatoires de nombre de ses responsables, mais aussi les ponctions massives opérées par les autorités pour des fins peu orthodoxes, il paraît clairement que la mesure gouvernementale de la hausse du gasoil reste davantage politique, très éloignée de ses justifications économiques. Afin que la Sonidep continue à servir de caverne d’Ali Baba aux responsables politiques, les usagers sont donc sollicités fallacieusement, les princes devant, n’est-ce pas être toujours bien servis.
La décision du gouvernement a spontanément suscitée un tollé de protestations au sein des centrales syndicales et des acteurs associatifs qui redoutent une accentuation de l’inflation qui est déjà insupportable pour les citoyens. Cette crainte est-elle fondée ?
Les structures de la société civile doivent nécessairement s’inquiéter aussi bien de la forme que du fond de cette espèce d’entourloupe impliquant des sacrifices supplémentaires aux citoyens. Étant donné la répercussion inéluctable de cette mesure sur l’ensemble des prix des produits de première nécessité, la vie risque évidemment d’être plus chère encore pour les populations.
Devant la montée de la contestation, le président Bazoum a rencontré, samedi dernier, les centrales syndicales et les OSC pour tenter de leur expliquer le bien-fondé de la mesure, en leur promettant qu’il y aura des mesures d’accompagnement en vue d’éviter une inflation débridée des prix des produits. Peut-on accorder un crédit à cette annonce dont la mise en œuvre se traduira inévitablement par des compensations de la part du gouvernement ?
Ces mesures dites d’accompagnement ne sont bien entendu que de la poudre aux yeux. Rien, en vérité, ne saurait justifier une hausse du prix du KW/H ou du gaz domestique. Les thuriféraires du régime croient y voir là une compensation bienvenue, alors même que cette annonce est destinée à légitimer davantage l’opération ‘’Sauvetage de la Sonidep’’ à des fins politiques de maintien des postes à prébendes et d’extraction informelle de l’argent par les autorités. A la vérité, il devrait s’agir, non de chercher à renforcer cette entreprise d’Etat, mais bien de la réformer, de la restructurer, en introduisant des critères de gestion basée sur les résultats et plus largement, une bonne gouvernance économique et financière.
Propos recueillis par I. Seyni