Un sommet extraordinaire de la CEDEAO est prévu le 10 décembre prochain, précédé du délibéré relatif à « l’affaire Etat du Niger et 7 autres contre la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernements » qui sera prononcé par la Cour de justice de la CEDEAO le 7 décembre. Cette Cour, en prélude au dit sommet avait renvoyé son délibéré du 30 novembre sur «l’affaire Mohamed Bazoum et 2 autres contre l’Etat du Niger», à une date ultérieure. Par cet acte, ladite cour venait d’exprimer tout son embarras dans le traitement judiciaire d’une affaire hautement politique.
Enjeux et dilemmes pour la CEDEAO
Ce sommet sera crucial du fait que la CEDEAO vient, à travers la position exprimée par le ministre des Affaires Etrangères du Nigeria, fait de la libération de Bazoum et de son départ pour un pays étranger, une condition incontournable à la levée des sanctions iniques imposées au Niger. Ceci avant même le verdict de la Cour sur cette affaire. C’est certainement en prévision de cette rigidité des instances de la CEDEAO par rapport aux changements constitutionnels par la force, que le CNSP a pris les devants pour s’engager dans la création de l’AES (Alliance des Etats du Sahel) avec le Mali et le Burkina, mais surtout en adoptant le principe de la création d’une union économique et monétaire de cette Alliance et ce, en prévision d’un éventuel désengagement du pays des instances de la CEDEAO et de l’UEMOA.
Principes de convergence constitutionnelle
Mais pourquoi les Chefs d’Etat de la CEDEAO s’engagent-ils dans une telle posture suicidaire, au risque de mettre en péril l’existence d’une institution aussi solide que la CEDEAO, au nom du respect d’un protocole auquel eux-mêmes n’ont aucun respect ? Pourquoi nos chefs d’Etat ne s’émeuvent que lorsqu’il s’agit de coups d’Etat militaires et font la sourde oreille quand les gouvernants violent allègrement les textes de l’institution, opèrant de facto des coups d’Etat civils ? Il est vrai que le protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance (voir encadré) prévoit en sa section première, qu’aucune accession au pouvoir ne peut se faire par la force sous peine de sanctions, pourtant le tripatouillage des constitutions en dehors des règles dudit protocole devait être considéré également comme un passage en force au pouvoir par les civils.
Sanctions et répercussions des coups d’État
Dès qu’un coup d’Etat militaire survient dans un pays membre, au nom de ce fameux principe de convergence constitutionnelle au sein des pays de la CEDEAO, le syndicat des Chefs d’Etat de la CEDEAO se réunit en urgence pour décider d’une batterie de sanctions allant de la suspension du pays aux instances de la CEDEAO à la fermeture des frontières terrestres aériennes et assorties d’un embargo économique et financier. Dans le cas du coup d’Etat survenu au Niger le 26 juillet 2023, tous les records internationaux ont été battus en matière de sanctions. Ceci sans tenir compte du non-respect par le chef d’Etat déchu des dispositions du protocole, qui, en sa Section V relative à « la lutte contre la pauvreté et de la promotion du dialogue social » déclinée aux articles 25 à 28, fait obligation aux Etats membres de la CEDEAO :
– De lutter contre la pauvreté et de reconnaître que la promotion du dialogue social sont des facteurs importants de paix ;
– D’assurer les besoins et services essentiels de leurs populations ;
– De Créer un environnement propice à l’investissement privé, et au développement d’un secteur privé dynamique et compétitif ;
– De Mettre en place les instruments nécessaires à la promotion de l’Emploi, et au développement prioritaire des secteurs sociaux ;
– D’Assurer une répartition équitable des ressources et des revenus visant à renforcer la cohésion et la solidarité nationales.
Le prochain sommet de la CEDEAO doit éviter de privilégier le seul respect du principe de convergence constitutionnelle inscrit dans le protocole en appliquant aveuglement des sanctions à un Etat suite au renversement d’un membre du syndicat des chefs d’Etat qui, le plus souvent, ne respecte même pas les dispositions dudit protocole relative à la bonne gouvernance.
Les très récents soubresauts enregistrés en Sierra Leone et en Guinée Bissau prouvent que les sanctions sont loin d’être un remède miracle aux coups d’Etat. C’est dire que le prochain sommet de la CEDEAO prévu le 10 décembre prochain aura du pain sur la planche.
Encadré :
Protocole sur la Démocratie et la bonne gouvernance : « Section 1 – des principes de convergence constitutionnelle
Article 1er : Les principes ci-après sont déclarés principes constitutionnels communs à tous les Etats membres de la CEDEAO : a) – La séparation des pouvoirs Exécutif, Législatif et Judiciaire – la valorisation, le renforcement des Parlements et la garantie de l’immunité parlementaire ; – l’indépendance de la justice …b) Toute accession au pouvoir doit se faire à travers des élections libres, honnêtes, et transparentes. c) Tout changement anticonstitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir ».