Le démarrage prochain de la commercialisation à l’export du brut par notre pays est aujourd’hui miroité aux Nigériens par le régime de la Renaissance comme étant la source d’espoir certaine pour l’amélioration de leurs conditions de vie. Ce qui n’est pas du tout évident ! Le désenchantement risque d’être au rendez-vous au regard du manque criard de vision de la partie nigérienne dans le cadre des négociations de la construction du pipeline Niger-Bénin avec le partenaire chinois. Ancien Ministre, ancien Secrétaire Général de l’Organisation des Producteurs de Pétrole Africains (APPO), expert chevronné du secteur de l’industrie pétrolière, Mahaman Laouan Gaya ne va pas du dos de la cuillère pour relever les graves insuffisances du projet à travers cet entretien qu’il nous accordé sur le sujet.
L’Enquêteur : La construction du pipeline pour l’exportation du brut nigérien sera parachevée avant la fin de cette année, selon les autorités nigériennes. Quelles sont brièvement les enjeux économiques immédiats de ce projet pour notre pays ?
Je préfère aborder votre question avec d’abord les enjeux techniques liés à la construction de ce pipeline export Niger-Bénin. Comme je le dis souvent, le Niger, dont le territoire est constitué à plus de 90% de bassins sédimentaires (un réceptacle de gisements d’hydrocarbures gazeux, liquides et solides), ‘’coincé‘’ géographiquement et géologiquement entre l’Algérie, la Libye et le Nigéria (tous gros producteurs d’hydrocarbures et qui exportent 1,7 million à 2,3 millions de barils de pétrole par jour), il est certain, que tôt ou tard, notre pays connaitra inch’Allah, le même miracle pétrolier que ses voisins sus-mentionnés. Alors, dimensionner un pipeline export à une ridicule capacité de 90.000 b/j (avec éventuellement un maximum de 180.000 b/j), dénote proprement d’un manque de vision et d’anticipation… pour un pays qui aspire un jour, à être millionnaire (en barils par jour) en production et exportation pétrolières. Mais pourquoi (diable !) personne n’a eu un minimum de bon sens pour envisager d’intégrer, en prévision de l’exportation, des découvertes en cours et futures ; les recherches pétrolières s’intensifient pourtant sur plusieurs blocs, tant dans le bassin oriental que celui ouest dit des Iullemmenden. Je rappelle par ailleurs que dans le bassin des Iullemmenden, à cheval entre la partie Ouest du Niger, l’Est du Mali, le Nord du Burkina Faso et le Sud algérien, autrement dit la zone des ‘’Trois frontières‘’ (que les experts pétroliers appellent aussi le ‘’Koweït du Sahel‘’… au vu de son probable énorme potentiel pétrolier et gazier) de grosses et très agréables surprises ne sont pas à exclure. Les puissances étrangères (grosses consommatrices d’hydrocarbures) en sont très conscientes, d’où, entre autres, leur présence militaire pour ‘’lutter‘’ contre les mouvements djihadistes. En cas de découverte et exploitation dans cette zone (blocs de Tounfalis, Dallol, Yaris, Azawak, …), il est tout simple d’exporter ce pétrole par le pipeline Niger-Bénin. Le pipeline export du Tchad voisin avait été construit en 2003 avec une capacité de 350.000 b/j extensible à au moins 500.000 b/j ….. Sa capacité d’exportation n’excède pas actuellement 120.000 b/j, et pourtant les investissements sont déjà amortis ; eux (les tchadiens) n’avaient pas une vision court-termiste ! Cela laisse aisément penser (jusqu’à preuve du contraire) que le volume du pétrole brut à exporter sur le pipeline Niger-Bénin a été arbitrairement choisi ; sur la base d’aucune étude, et il est fort à craindre qu’on ne se retrouve dans les toutes prochaines années avec un oléoduc saturé et incapable de satisfaire les exportations à venir ! Le Niger ne restera pas indéfiniment petit producteur de pétrole, avec un modeste plafond de 180.000 b/j. Les enjeux économiques sont bien évidemment intimement liés à ce qui précède. Vous savez, les investissements dans l’industrie pétrolière sont extrêmement coûteux et les très fluctuants cours du marché international du pétrole peuvent ne pas répondre favorablement à l’amortissement de ces investissements (aussi les compagnies étrangères sont remboursées en nature ; barils de pétrole brut). Ces multinationales (majors comme juniors) se débrouillent toujours à travers les clauses contractuelles (clauses de stabilisation) à ce que les éventuelles pertes, dans le processus qui va jusqu’à la commercialisation du pétrole brut, soient endossées par le pays hôte. Les risques planent donc toujours sur la tête des ‘’pauvres‘’ pays producteurs de pétrole surtout s’ils sont africains. A l’entame de l’exploitation du pipeline, il faut absolument déduire les coûts des investissements (est-ce que la partie nigérienne a la maîtrise de tous les coûts ? …je ne suis pas trop sûr). Du coup, interviennent de la part des compagnies pétrolières étrangères plusieurs techniques de dissimilation de données, de triche et de vol (la surévaluation des coûts des investissements, le décalibrage des compteurs, etc…). Après déduction de ces coûts d’investissement, il y a le partage du profit-oil qui intervient entre les deux parties. Sur la modique part qui revient au pays hôte, il y a pour certains pays africains la déduction de certains prêts souvent gagés sur les ressources pétrolières (contractés souvent depuis plusieurs années) et c’est le moment justement d’en prendre possession. Les avantages économiques et financiers directs et indirects pour le Niger et le Bénin pourraient être inestimables, même si à priori difficilement quantifiables ; mais une chose est sûre, le principal gagnant de ce gros projet est indiscutablement le Bénin. Au finish, je crains (et je prie Allah swa me tromper) que notre pays ne se retrouve dans la situation de ce qui est malheureusement convenu d’appeler ‘’la malédiction de l’or noir‘’.
Qu’est-ce qui pourrait expliquer ce manque de vision stratégique et quelles peuvent être ses incidences futures ?
Les pays africains surtout francophones ont la triste et maladive réputation d’une opacité et un manque criard de transparence dans l’exploitation et la gestion de leurs ressources extractives et particulièrement pétrolières. La transparence doit être de mise sur toute la chaîne de valeurs du cycle de vie du projet pétrolier : des négociations des contrats pétroliers jusqu’à la consommation à la pompe des produits pétroliers. Une des conséquences de ce manque de transparence et de confiance, c’est la mise à l’écart des compétences nationales (pourtant formées à grand frais, et avoir la préférence à l’expertise étrangère) depuis la prise de décision qui suit les négociations des contrats pétroliers. Dans des pays responsables, même les populations des zones d’exploitation appuyées par certaines organisations de la société civile sont associées à certains niveaux de discussions. Il en est de même du parlement et autres institutions étatiques de contrôle. Mais dès lors que seuls les responsables politiques, flanqués de leurs conseils occidentaux ont seuls accès au processus de prise de décision et de gestion, il est bien évidemment clair qu’on ne peut pas parler de vision stratégique, parce que tous les travers de bonne gouvernance y élisent domicile. On n’a donc pas besoin d’aller loin pour se rendre compte que les incidences futures ne peuvent qu’être désastreuses pour le pays. Aucun pays africain francophone producteur de pétrole n’est à l’abri ; c’est une évidence, et vous le savez bien.
La mise en exploitation du pipeline Niger-Bénin coïncide avec l’inauguration récente au Nigéria de l’une des grandes raffineries d’Afrique voire au monde. Un atout ou une source d’inquiétude pour le développement de notre potentiel pétrolier ?
Les deux événements ne sont pas à priori liés, mais vous permettez d’ailleurs que j’en ajoute un autre non moins important, à savoir la levée récente de la subvention aux importations de l’essence par le nouveau Président de la République Fédérale du Nigeria. Cependant, on pouvait bien les intégrer tous dans le cadre d’une politique commune de l’énergie dans l’espace CEDEAO, mais aussi dans le marché commun de la ZLECAf. Ces événements impactent d’une manière ou d’une autre sur plusieurs pays de la sous-région, et particulièrement le développement du secteur pétrolier et en général l’économie. Le premier à être indexé, fut donc la levée des subventions aux importations de l’essence décidée par le nouveau Président Ahmed Tinubu dès le lendemain de son investiture. Dès l’annonce officielle de cette décision, le 30 Mai 2023, mais avec effet le 1er Juillet 2023, le prix du carburant à la pompe passa de 185 nairas (245 FCFA) à 550 nairas (727 FCFA), et même atteindre le plafond de 700 nairas (925 FCFA) le litre à Abuja ; plus cher qu’au Niger où il est à 540 FCFA (408 nairas). Si cette tendance perdure, il est fort à craindre que l’essence en vente dans les pays limitrophes (particulièrement au Niger) va frauduleusement se retrouver sur les marchés noirs au Nigeria, et l’occasion est toute trouvée par certains gouvernements pour justifier une augmentation artificielle (totalement irréaliste) du prix du litre d’essence à la pompe dans leur pays (et peut-être même le KWh d’électricité, s’ils poussent encore dans l’inhumanité ?! …ignorant royalement les affres des coupures d’électricité dans lesquelles ont été délibérément plongées depuis plusieurs jours les pauvres populations). Les voisins producteurs de pétrole (Niger, Tchad, Cameroun), avec les insignifiantes productions de leurs raffineries risqueraient de se trouver quelques temps en situation de ‘’panne sèche‘’. Toutefois, il ne fait aucun doute que la subvention du carburant a un impact très négatif sur les finances de l’Etat fédéral nigérian et qu’il aurait été fiscalement irresponsable de la conserver indéfiniment. Lors de la cérémonie d’inauguration de la Raffinerie Dangote, le Directeur Général de la compagnie pétrolière nationale – la ‘’Nigeria National Petroleum Corporation‘’ (NNPC), Mr Mele Kyari disait d’ailleurs qu’il est très, très difficile pour l’Etat de continuer à supporter 400 milliards de nairas de subvention chaque mois (soit l’équivalent de 6340 milliards FCFA par an ou encore 17,5 milliards FCFA de subvention par jour !). Cependant, une concertation à l’échelle de la CEDEAO pourrait permettre de réduire considérablement l’impact négatif de la suppression de la subvention au Nigéria. Par ailleurs, en sus de la raffinerie Dangoté qui a une capacité de production de 650.000 b/j, les quatre (4) raffineries modulaires actuellement opérationnelles et la remise en production des quatre (4) raffineries nationales en souffrance (qui ont une capacité cumulée de 445.000 b/j), le Nigeria pourraient dans quelques temps se retrouver avec une production totale en produits raffinés de près de 1,2 million b/j. A cela, il faut ajouter pour la sous-région les productions des raffineries, SAR du Sénégal, SIR de la Côte d’Ivoire et la SORAZ du Niger. Avec une politique harmonisée de commerce de produits pétroliers dans l’espace de la CEDEAO, l’on peut appliquer la meilleure politique tarifaire qu’il soit en Afrique, avoir un approvisionnement régulier et des prix à la pompe à un niveau relativement abordable et acceptable pour tous les consommateurs. Avec la capacité cumulée des 13 raffineries de pétrole (9 au Nigéria dont 4 mini-raffineries, 1 au Ghana, 1 au Sénégal, 1 en Côte d’Ivoire et 1 au Niger), le pétrole brut exploité dans la sous-région peut être raffiné sur place et satisfaire entièrement aux besoins en produits pétroliers énergétiques (GPL, essence, gaz-oil, kérozène,…), non énergétiques (huiles, graisses, lubrifiants, bitume,…) et en produits de la synthèse pétrochimique (plastiques, engrais,…) de l’ensemble des pays de l’espace CEDEAO. Une réelle volonté politique des dirigeants politiques (sans intervention extérieure pour bloquer une initiative africaine) peut bel et bien relever le défi de la pauvreté et de la précarité énergétiques (pétrole brut et produits pétroliers) de la sous-région.
L’exploitation des 20.000 b/j raffinés par la Soraz s’est déroulée, de 2011 à nos jours, dans une opacité déconcertante. Les nigériens n’ont pas ressenti les retombées. La commercialisation du brut qui présente de sérieuses difficultés de contrôle des volumes réellement exportés ne risque-t-elle pas d’être encore plus opaque ? Les nigériens peuvent-ils rêver de voir cette manne les sortir de la misère ?
Je pense que la grande majorité des nigériens partagent les mêmes inquiétudes que vous. A la lumière de tout ce que je viens d’observer, je ne suis pas sûr que nous soyons sortis de l’auberge ; à moins bien sûr d’un sursaut national de la part de tous. Les richesses nationales extractives en général et pétrolières en particulier n’appartiennent pas à un clan ou une famille comme c’est le cas des régimes ‘’dynastiques‘’ de l’Afrique centrale. Une transparence, une bonne gouvernance, et une répartition équitable de ces richesses nationales (à travers des investissements, dans l’éducation, l’agriculture, les infrastructures,… sans surfacturation aucune !) sont le gage d’une sortie de misère et mieux l’amorce d’un développement économique et social, et aussi d’une quiétude sociale au niveau national. n
Entretien réalisé par I. Seyni