Djibrilla, jeune nigérien originaire de Zinder, exerce le métier de ‘’Chaïman’’ au quartier Védeko de Cotonou. Assis sur un tabouret derrière son commerce, un poste transistor scotché à l’oreille, il commente à deux autres compatriotes, venus prendre leur petit-déjeuner, l’actualité sur la levée des sanctions imposées au Niger par la CEDEAO. Il comprend et parle correctement français pour avoir fréquenté jusqu’au lycée, mais aussi la langue locale dominante au Bénin. Son lieu de commerce est un point d’escale pour de nombreux jeunes ressortissants nigériens venus en aventure à Cotonou, qui fréquentent le quartier.
A l’instar de Souleymane, collecteur-vendeur de ferrailles mécaniques, appareils électroménagers et autres objets métalliques hors d’usage, au moyen d’une charrette. Ou encore Farouk, jeune vendeur ambulant de friperie…
Recueillant son sentiment par rapport à la levée des sanctions de la CEDEAO contre le Niger, Djibrilla lance d’abord un ouf de soulagement. ‘’Alhamdu Lillahi ! Je suis très content de cette décision de la CEDEAO, qui consacre la réouverture de la frontière’’, déclare-t-il.
Et d’enchaîner immédiatement avec une anecdote : ‘’Quand je revenais à Cotonou, en plein mois d’août [Ndlr : en 2023. Il retourne de temps en temps au pays visiter la famille], j’ai trouvé la frontière fermée de part et d’autre. Il fallait traverser le fleuve en pirogue pour joindre Malanville. Ce jour-là est resté gravé dans ma mémoire. Notre embarcation a failli chavirer parce qu’il pleuvait intensément, la pirogue qui était surchargée de marchandises tanguait violemment et se remplissait d’eau de tous les côtés’’, raconte Djibrilla.
‘’Instinct de survie oblige, nous n’avons pas eu besoin d’attendre la sollicitation du piroguier et son assistant pour prendre des récipients et aider à évacuer systématiquement l’eau qui entrait de toutes part dans l’embarcation. C’est difficilement, la peur au ventre, que nous avions pu atteindre le rivage’’, se souvient encore Djibrilla, soulagé de la réouverture de la frontière.
El hadj Samaila, compatriote nigérien installé de longue date à Cotonou avec une famille et évoluant dans les affaires, se dit aussi content de la levée ‘’des sanctions illégales et criminelles’’ de la CEDEAO contre le Niger, surtout celle relative à la fermeture des frontières qui a rendu difficile la libre circulation des personnes et des biens entre le Niger et le Bénin, depuis de longs mois.
‘’Avant la fermeture de la frontière consécutive au coup d’Etat du 26 juillet, je prenais périodiquement la route dans ma propre voiture pour aller régler des problèmes au village et revenir dans la même semaine’’, dit-il.
‘’Mais depuis l’entrée en vigueur des sanctions il y a six mois, c’est une seule fois que je suis retourné au village à cause des difficultés pour traverser à partir de Malanville. Je me contente seulement d’envoyer de l’argent et de la nourriture par le biais des agents de transfert monétaire et les compagnies de transport’’, justifie Samaila.
Pour lui, la réouverture de la frontière est un grand ouf de soulagement, mais cela ne dissipe par totalement ses inquiétudes. Il dit notamment craindre la sauce à laquelle nos compatriotes au Bénin seront désormais mangés avec la décision radicale des trois pays [Burkina Faso, Mali, Niger] qui ont créé l’Alliance des Etats du Sahel (AES] de sortir de la CEDEAO.
‘’Si cette sortie est définitivement actée par la CEDEAO, les facilités de mobilité et d’implantation dont nous bénéficions aujourd’hui dans les autres pays de l’espace risquent d’être compromises. Les tracasseries paperassières [visa d’entrée, papier de séjour et d’implantation, etc.5], ne vont-elles pas être réintroduites comme par le passé ?’’, interroge Samaila, souhaitant que les autorités nigériennes prennent en compte cet aspect.
Pour sûr, la communauté de la diaspora nigérienne est importante au Bénin. Lorsqu’on y ajoute les exodantssaisonniers ruraux, qui viennent juste chercher de l’argent après les récoltes pour retourner au pays dès les premières pluies, la préoccupation de Samaila doit être examinée avec beaucoup de lucidité et de réalisme.
Faut-il maintenir dans la durée, la fermeture de la frontière du côté du Niger alors que le Bénin a rouvert la sienne, par crainte d’infiltration des ennemis qui nourrissent toujours le projet de déstabilisation de notre pays ? Faut-il l’ouvrir et renforcer le dispositif militaire et de contrôle au niveau de la frontière pour parer à toute éventualité ? La libre circulation des Nigériens et leurs biens dans l’espace ouest-africain doit être en tout cas préservée, même avec le retrait de notre pays de la CEDEAO. C’est un impératif !