Dr. Souley Adji : Tout comme il avait initié ce genre de visites en début de mandat dans la région de Diffa, il se devait pour des raisons d’Etat, c’est-à-dire d’objectivité et d’impartialité d’entreprendre la même opération dans les autres régions vivant les mêmes drames en lien avec le terrorisme islamiste. En cela, il s’agit d’apporter le soutien moral et la compassion de l’Etat aux populations à défaut de leur garantir la sécurité physique et celle de leurs biens. C’est le moins que puisse faire un Président, dont le gouvernement, tout comme les précédents, peine à trouver les voies et moyens pour circonscrire au maximum l’étendue du fléau djihadiste – grignotant des portions entières du territoire : villages abandonnés, multiplication de camps de déplacés, fermetures de milliers d’écoles primaires, abandon des postes routiers de la police, etc. Rappelons qu’une des dernières attaques n’a eu lieu qu’à sept kilomètres seulement de Niamey. Bientôt, le Centre-ville ?
Partout où il se rend, Bazoum demande aux populations déplacées de retourner dans leurs villages, promettant de créer les conditions de leur sécurisation durable et appelle les Jihadistes à déposer les armes en contrepartie d’une réinsertion sociale. Pensez-vous que ces derniers peuvent être sensibles à sa main tendue ?
Bazoum Mohamed a certainement cru appliquer le même mode opératoire qu’à Diffa, ou graduellement la situation avait tendu à se stabiliser. Or, comparaison n’est pas raison, dit-on ! A Diffa, à l’époque, il y prévalait une sorte de trêve durable des djihadistes, alors harcelés et acculés par l’armée, qui portait des coups durs à Boko Haram. C’était cette opération de nettoyage des poches terroristes qui avait permis au président d’acter le retour dans leurs villages des déplacés et qui l’avait également décidé à séjourner dans la zone. Tel n’est pas le cas de la région occidentale du pays aujourd’hui, où les djihadistes semblent accélérer la cadence des attaques, s’approchant même de la capitale et où les forces de défense et de sécurité sont complètement débordées. Les transports routiers ne sont plus eux-mêmes garantis tant les faux barrages se multiplient. Dans ces conditions, demander aux populations de regagner leur bercail, n’est-ce pas un peu comme d’aller se jeter dans la gueule du loup ? Il convient donc de sécuriser davantage la mobilité dans la zone et de renforcer les infrastructures d’accueil d’abord avant de songer à appliquer le modèle de la région de Diffa.
Quant à la main tendue aux terroristes, pourquoi pas ? Cette approche montre principalement qu’après moult réflexions, le président a dû se convaincre que la lutte contre le terrorisme djihadiste ne pourrait être remportée par la seule force des armes de guerre et qu’il conviendrait de lui adjoindre une autre arme, celle-là plus africaine : l’arme du dialogue. Cette stratégie a, elle, par contre, quelque peu fonctionné à Diffa, où en effet des centaines de jeunes se sont déradicalisés et ont rendu les armes pour être pris en charge par des centres d’accueil créés à cet effet. Même si un seul jeune djihadiste de la région de Torodi ou de l’Anzourou déposait les armes, ce serait déjà un grand pas vers un changement de comportement. Il pourrait y en avoir des groupes ou des vagues entières par la suite. Somme toute, l’approche militaire ne doit pas être la seule option dans la lutte contre le terrorisme islamiste.
Désigné par la CEDEAO comme médiateur dans la recherche de solutions à la crise politique burkinabè, l’ancien président Issoufou Mahamadou vient d’être contesté par le camp politique de Blaise Compaoré, qui l’accuse ouvertement d’avoir joué un rôle prépondérant dans la chute de leur régime. Quelle signification revêt pour vous ce désaveu ?
Pour l’heure, ce n’est que le CDP, le parti de Blaise Compaoré, qui a publiquement discrédité et rejeté la proposition de la CEDEAO s’agissant de la nomination de l’ancien Président nigérien au poste de médiateur. Or, ce parti, on le sait, n’est plus aux affaires. Il ne peut dès lors décider de quoi que ce soit, à moins que la junte de Damiba n’ait de fortes accointances avec le régime déchu et son parti. Il serait donc plus sage d’attendre la réaction officielle du gouvernement burkinabé pour tirer des conclusions plus louables. Néanmoins, on peut loisiblement se demander si cette proposition n’émane pas du Niger : peut-être qu’en occupant Mahamadou Issoufou avec cette mission de la CEDEAO, le président Bazoum aurait davantage les coudées franches pour gouverner en toute indépendance et sérénité. N’est-ce pas là un des griefs que, semble-t-il, lui font les Nigériens ?