Du haut de la tribune du sommet pour un nouveau pacte financier mondial tenu à Paris la semaine dernière, le président Mohamed Bazoum a incriminé la flambée démographique comme étant le principal facteur qui anéantit les efforts de lutte contre la pauvreté dans notre pays. Remettant en question cette analyse de Bazoum qu’il qualifie de ”rédutrice”, Dr. Souley Adji dit néanmoins partagé l’option du président d’encourager et soutenir la scolarisation durable des filles.
L’Enquêteur : Participant à Paris, sur invitation du président Macron, au sommet pour un nouveau pacte financier mondial, le président Mohamed Bazoum a établi un lien direct entre la flambée démographique et l’accroissement de la pauvreté dans notre pays. Tant que la croissance démographique n’est pas maîtrisée, tous les efforts de lutte contre la pauvreté resteront vains, selon lui. Comment appréciez-vous cette analyse de Bazoum ?
Dr. Souley Adji : Il existe toujours cette vieille antienne qui tend à établir une corrélation systématique entre la démographie et le développement. Cette approche néo-malthusienne est généralement invoquée pour expliquer le sous-développement des pays du Sud, de l’Afrique noire notamment. Or, rien ne permet d’établir une telle connexion étant donné que le paramètre politique est proprement occulté. Prenez certains pays comme la Chine ou l’Indonésie, dont la croissance démographique n’a point entravé le développement industriel et technologique. À l’inverse, d’autres pays comme le Gabon et le Congo, très faiblement peuplés, mais dont les ressources en pétrole et en bois sont immenses, n’ont pu significativement suivre les rails du développement. Aujourd’hui encore, ces pays comptent parmi les pays pauvres du monde, alors même que les conditions d’une sortie de la pauvreté étaient en principe réunies. C’est dire qu’en passant outre la variable politique, l’on escamote le problème de la corrélation. En effet, il faudrait inverser les termes du débat : n’est-ce pas bien le développement qui devrait entraîner une maîtrise de la fécondité dans un pays ? Or, cette exigence reste l’apanage des responsables politiques, censés apporter le bien-être aux populations. N’est-ce pas bien à travers la mise en place et l’implémentation des politiques publiques fortes en matière d’éducation, de santé et d’alimentation qu’on pourrait agir sur la croissance démographique ? Les responsables politiques ont bon dos d’incriminer le nombre de naissances annuelles au lieu de s’arrimer à produire des politiques sociales, susceptibles d’élever le niveau de culture et d’information des populations, d’accroître sensiblement tout aussi la santé publique et l’alimentation. À cet égard, l’approche du Président Bazoum consistant à mettre l’accent sur l’éducation de la petite fille paraît porteuse et féconde à long terme. Non seulement, une fois intellectuellement outillées, ces jeunes femmes éviteront les mariages précoces, mais encore elles sauront planifier les naissances dans leurs futurs ménages. On voit donc bien que le développement économique et industriel précède reste, la base et le but à atteindre, la croissance démographique n’étant qu’une contrainte maîtrisable par la population elle-même, une fois que les gouvernements auront réalisé leurs promesses de politiques sociales fortes pour le plus grand nombre.
Or, dans nos pays, tout se passe comme si nos dirigeants politiques se dédouanaient, fuyaient leurs propres responsabilités pour jeter la pierre à leurs concitoyens, qui feraient beaucoup d’enfants.
N’est-ce pas bien parce que les pays occidentaux ont pu régler ces équations depuis fort longtemps qu’ils ont vu leurs populations gérer elles-mêmes leur taux de fécondité ou le nombre d’enfants qu’elles sont capables de prendre en charge sans anicroche majeure. Il revient donc aux responsables politiques d’aider significativement au développement industriel et technologique de leurs pays pour voir leurs populations être dans des conditions porteuses d’une culture de la maîtrise de la fécondité.
La flambée démographie à elle seule peut-elle justifier la progression fulgurante de la pauvreté dans notre pays ces dernières décennies ?
Comme je l’ai signalé ci-haut, le moteur de la réduction de la pauvreté, c’est bel et bien le gouvernement, devant en effet accroître sensiblement le taux de scolarisation et d’information des populations, industrialiser fortement le pays et ouvrir des perspectives d’emplois afin de produire de la valeur.
Or, le déficit de gouvernance dans notre pays reste marqué par un fort enrichissement illicite, une corruption endémique et des passe-droits sans limites, de sorte que le budget de l’État ne participe pas fortement au développement national. , Considérez seulement la part consacrée à l’éducation, à la formation, à la santé ou à l’industrialisation, elle représente une quantité négligeable. Le pillage de l’économie nationale par les politiques et les bénéficiaires des marchés reste de loin la première source de pauvreté dans le pays : l’inégale redistribution des ressources nationales et l’exploitation des couches subalternes demeurent toujours les principaux facteurs de paupérisation dans un pays. Le Niger, hélas, ne fait pas exception.
La recette miracle de Bazoum pour freiner la natalité dans notre pays consiste à mettre l’accent sur la scolarisation des jeunes filles et leur maintien durable à l’école, jusqu’à l’âge de 18 ans, en vue de réduire le taux de mariages précoces et des grossesses non désirées. Raison pour laquelle il a initié la construction d’internats pour jeunes dans les régions du pays. Quelles peuvent être les limites de cette politique ? Il s’agit là d’une approche responsable, qui met le développement en avant, ici l’éducation, afin d’agir sur la croissance démographique. C’est cette approche que j’ai soutenue dans cet entretien : partir des politiques sociales, notamment éducatives ou autres pour produire une population capable elle-même de gérer sa natalité. Ces jeunes filles seront évidemment plus disposées à condamner les mariages précoces et à mettre en place une planification familiale plus en phase avec leurs aspirations. Dans la mesure où ces jeunes filles se retrouveront plus tard dans des ménages, les garçons ne doivent pas non plus être exclus de ce processus de formation de citoyens modernes, à l’esprit davantage rationnel que traditionaliste. Là est peut-être la limite de cette politique, les époux prenant davantage la décision que leurs épouses dans un ménage. Même en matière de nombre d’enfants. La complémentarité doit donc prévaloir dans ce domaine.