L’Enquêteur : Suite à l’entretien accordé par M. Bazoum Mohamed à la ‘’presse-ouest africaine’’ le 12 juin 2022 dernier, en tant qu’Economiste, ancien fonctionnaire international, et Conseiller d’un président de la République, pouvez-vous nous dire quelle est votre appréciation desdits propos ?
Djibrilla Baré Mainassara : Bien sûr que s’agissant de toute question liée au devenir de notre pays et notre sous-région, j’ai le devoir de vous éclairer sur les points abordés bien qu’étant toujours concerné par le contentieux électoral de la présidentiel en tant que candidat.
Notre première question porte sur la lutte contre la corruption prétendument engagée par M. Bazoum, qu’en dites-vous ?
Sur ce plan, je dois dire que malgré les discours, nous n’avons encore rien vu de concret. Comme toujours des annonces ont été faites, avec à la clef quelques actions d’éclat, puis plus rien. Il a tenté d’avouer son incapacité aux organisations de la société civile parce qu’il aurait les mains liées. Evidemment, c’est tout à fait logique. Quand on appartient à un système qui vous a permis d’être là où vous êtes sans en être le meilleur, il ne faut pas s’attendre à grand-chose. En conclusion, M. Bazoum ne fera rien, parce qu’il ne peut rien faire. Ses discours sont justes bons à endormir les Nigériens et les bailleurs de fonds.
Sur la démographie, M. BAZOUM a longuement expliqué qu’il est contre la croissance de la population qui, selon lui, plombe les efforts de développement, notamment l’accès des populations aux services sociaux de base, à savoir, l’éducation et la santé. Lors d’une conférence avec les femmes, il avait annoncé l’interdiction à ses ministres de prendre une épouse supplémentaire au risque d’être renvoyés du gouvernement. Qu’en dites-vous ?
Sur la question de l’impossibilité pour ses ministres de prendre une épouse supplémentaire, vous le savez, les observateurs ont jugé les propos de M. Bazoum excessifs parce qu’estiment-ils, il viole la vie privée de ses ministres.
Sur la polygamie en général, quand il dit condamner la polygamie dite « sauvage » de son point de vue, là également, ses propos sont très risqués dans un pays majoritairement musulman comme le nôtre. Si une femme consent à prendre pour époux un sans emploi, qu’est-ce que lui (M. Bazoum) peut faire. Dans une relation amoureuse ou de couple, la dimension financière n’est pas la variable la plus déterminante. Une femme peut bien délaisser un El hadj nanti, pour un sans emploi, un sdf ou pour des raisons multiples. Nous sommes dans une société féodale dans laquelle pour le choix de la femme pour un futur conjoint, le statut social de l’homme peut être plus déterminant que son patrimoine financier. Sur cette question, M. Bazoum aurait dû interroger les sociologues avant de se prononcer
Sur la question de la limitation des mandats présidentiels, M Bazoum a parlé des réformes envisagées du protocole de la Cedeao sur la démocratie et la gouvernance pour les limiter à deux dans l’espace Cédéao. Répondant à l’un des journalistes, M. Bazoum a notamment affirmé que si le président Alassane Ouattara se hasardait à envisager un troisième mandat, il serait frappé par la mesure. Qu’en dites-vous ?
Ecoutez, avant de parler de l’adoption de nouvelles dispositions dans le protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance de la Cedeao, si ici au Niger nos autorités pouvaient déjà faire respecter les dispositions prévues par rapport aux processus électoraux, ce serait déjà bien. Mais vous l’imaginez, c’est loin d’être le cas. A mon avis, ce n‘est qu’une fuite en avant dont M. Bazoum est coutumier.
Nos deux dernières élections générales avaient-elles respecté les dispositions fixées par les articles 3 à 7 dudit protocole ? Rien n’est moins sûr. Rappelons que lesdits articles prévoient : article 3 : Les organes chargés des élections doivent être indépendants et/ou neutres et avoir la confiance des acteurs et protagonistes de la vie politique. En cas de nécessité, une concertation nationale appropriée doit déterminer la nature et la forme desdits Organes.
Article 6 : “L’organisation, le déroulement des élections et la proclamation des résultats s’effectueront de manière transparente” ;
Article 7 : Un contentieux électoral crédible relatif à l’organisation, au déroulement des élections et à la proclamation des résultats doit être institué. Jugez en vous-même. Aucun de ces articles n’a été respecté.
Alors pourquoi s’adresser à un chef d’Etat aussi respectable que le président Ouattara d’une manière aussi brutale ? J’avoue être surpris de l’attitude de M. Bazoum. Après les autorités maliennes de Transition, s’attaquer de la sorte aux autorités de la Côte-d’Ivoire, n’est pas correct.
Connaissez-vous personnellement le président Alassane Ouattara ?
En tant que banquier central depuis 1982, j’ai bien sûr servi à un moment donné sous l’autorité du Dr Allassane Ouattara qui était un des cadres les plus compétents et respectés de l’institution, et cette renommée est mondiale. Ensuite en tant que Conseiller économique du président Baré, j’ai eu à transmettre en 1998 une lettre au Dr Ouattara qui était à l’époque Directeur général adjoint du FMI, sollicitant l’ouverture d’une représentation permanente du FMI au Niger afin de mieux suivre les programmes d’ajustement, drastiques à l’époque. Il avait accepté sans problème, mais le président Baré n’a pas eu la chance de voir cette promesse qui a été concrétisée en 2001. Donc je considère le DR Ouattara comme un ami du Niger. Il a toujours tenu en estime les Nigériens dans les institutions financières internationales et en toutes circonstances. C’est pourquoi, il est souhaitable que M. Bazoum respecte les Ivoiriens, un peuple intelligent et convivial qui peut régler ses problèmes comme il l’a toujours fait. De grâce, dites à M. Bazoum de ne pas ouvrir un autre front après celui du Mali, si ce n’est déjà fait. Le peuple ivoirien est un peuple pacifique qui n’a pas besoin des conseils de Bazoum pour s’assumer.
Sur le Mali, M. Bazoum s’est longuement exprimé, lors de cet entretien, pour démontrer aux journalistes que, par le passé, il a œuvré pour l’unité du Mali, ce qui, en son sens, lui donnerait le droit de s’ingérer dans le processus de transition en cours. Qu’en pensez-vous ? Tout est une question d’appréciation. Je crois que M. Bazoum semble ignorer l’adage qui dit que « la manière de donner vaut souvent plus que ce qu’on donne ». Même à l’endroit de votre propre enfant que vous avez élevé avec tous les sacrifices imaginables, vous n’avez pas le droit de tenir certains propos, à plus forte raison à l’endroit d’une aussi grande Nation que le Mali, première démocratie en Afrique, voire au Monde, avec l’empire du Wassoulou (ou empire mandingue) (1878 – 1898) et sa charte. Il y’a quelques mois, quand M. Bazoum avait voulu se raviser après ses bourdes diplomatiques sur ce pays, il avait usé de la formule, «qui aime bien châtie bien», comme si le contexte s’y prêtait. Quand il s’agit de relations d’Etat à Etat, ce genre d’attitude ne sied pas. Pourtant, ce ne sont pas les bons conseillers qui lui manquent dans tous les domaines. Son parti regorge de cadres de haut niveau. La seule explication pourrait être qu’il en fait à sa tête. Les Maliens sont des gens biens qui aiment les Nigériens et ont toujours adopté une attitude plus que fraternelle avec nous. Je demande à Bazoum de cesser de nous embarrasser par ses sorties plus que hasardeuses sur les autorités maliennes. De mémoire de Nigérien, il n’y jamais eu de nuages entre nos deux peuples. M. Bazoum n’a aucune leçon de démocratie et de dignité à donner au peuple malien. En 1996 après le coup d’Etat du Colonel Baré, le président Alpha Omar Konaré l’avait fortement condamné en tant que démocrate. Ce qui était tout à fait normal. Le président Baré qui l’avait compris, ne s’en était jamais offusqué. Après quelques explications, le Président Konaré, attaché aux hommes dignes, est même devenu un soutien du président Baré. A suivre…