A notre connaissance, l’organe dirigeant de la CEDEAO (Communauté Economique Des Etats de L’Afrique de l’Ouest) est la conférence des chefs d’Etats et de gouvernement des pays membres. Celle-ci ne peut s’exprimer officiellement que de deux façons. Soit par un communiqué officiel, soit par des prises de positions de ses membres divulguées par un porte-parole non moins officiel. Toute autre voie est, de facto, spécieuse, non officielle ou revêtant une usurpation.
Que valent les propos décousus de Yussuf Tuggar ?
Le Ministre des Affaires étrangères de la République fédérale du Nigeria, Monsieur Yusuf Tuggar, en poste depuis avril 2021, a cru bon de donner son avis personnel sur les intentions de la CEDEAO concernant la levée des sanctions contre le Niger. Et cela en langue Haoussa, ce qui altère le coté officiel de sa déclaration, puisque la langue officielle de son pays est l’anglais. Par ailleurs, le medium emprunté pour ce faire, une station de télévision secondaire, et non une chaîne de très grande écoute, démontre, s’il le fallait encore, le coté opération en catimini. Du reste, Monsieur Yussuf Tuggar n’avait même pas le droit de parler des problèmes de la CEDEAO qu’il est en train de traiter, fût-il Ministre des Affaires Etrangères de son pays. Alors, comment expliquer cette bourde qui, apparemment, est calculée ? Ce Ministre a-t-il été motivé d’une façon ou d’une autre ? Bola Tinubu, le président de la République du Nigeria, est-il partie prenante de cette farce, ou a-t-il -été placé devant un fait accompli ? Il est facile de comprendre que des volontés ouest africaines ou extra-africaines cherchent encore à maintenir la pression sur les putschistes Nigériens, Tiani, Mody, Toumba et leurs camarades afin d’obtenir, avant la conférence des chefs d’Etats et de gouvernement, la libération de Mohamed Bazoum et son départ pour un exil doré. Cette idée pèche par son irréalisme flagrant. Comment peut-on imaginer que l’on libère le président déchu, qui n’a pas encore démissionné, soulignons-le, et qui de ce fait, une fois en dehors du Niger, peut mettre en place, de manière tout à fait officielle, un gouvernement Nigérien en exil qui sera immédiatement reconnu par Macron et ses séides. Et aussi sans doute par la plupart des pays occidentaux. Ce qui leur donnerait une base légale pour envahir le Niger. Comment peut-on imaginer que les putschistes puissent ne pas penser à cela ? Les prendrait-on pour des esprits simplistes, suicidaires ou débiles ?
Dans la cour de recréation
Depuis quelques temps, nous autres, observateurs concernés, nous avons le sentiment diffus que les chefs d’Etat de la CEDEAO se comportent comme des enfants dans une cour de récréation. Ils ne disent rien sur certains sujets, mais n’en pensent pas moins. Ils s’expriment sur certaines décisions de la communauté du bout des lèvres, et quelques fois même se montrent rétifs à suivre certaines directives. Ils usent à profusion (quand ils ne mettent les pieds dans les plats) de sous-entendus, et de non-dits, qui laissent présager que les acteurs ont un code de langage, qu’eux seuls arrivent à décrypter. Quelqu’un d’extérieur à ce manège, nous ne citons pas de nom, mais suivez notre regard, risque d’être le dindon de la farce. La CEDEAO a dans sa gibecière toute une panoplie de farces que certains esprits cartésiens auront du mal à comprendre. Pour nous, d’une façon ou d’une autre, peu ou prou, nolens volens, l’organisation sous-régionale va devoir lâcher du lest. Elle cherche donc désespérément une contrepartie pouvant justifier sa clémence. Pour ce faire, après la farce de la force en attente, voilà la farce de la CEDEAO dans le rôle du deus ex machina, une posture, en réalité, usurpée.
L’évolution de la crise
Voir Mohamed Bazoum dans la situation de créer un gouvernement nigérien en exil relève d’un vœu pieux. Mais le général Abdourahamane Tiani peut concéder un geste conciliant en libérant son fils, ou sa femme, ou les deux, tout en les gardant dans une forme de résidence surveillée. De son côté, la CEDEAO, voyant l’inanité de certaines sanctions (privation d’électricité venant du Nigeria, paliée partiellement par Gorou Banda, transport des marchandises de première nécessité etc.) ne verra aucune utilité à rester figée bêtement sur sa position initiale. Jusqu’où va-t-elle ouvrir les vannes ? Cela reste à déterminer et, sans doute, à négocier. Il n’en demeure pas moins qu’elle est obligée de céder du terrain, à moins qu’elle n’ait planifié une catastrophe socio-économique de la région. Ce dont nous doutons fortement. Quelles que soient les pressions et les manipulations exogènes, du fait même, du jeu tacite précité.