Le président Bazoum Mohamed a manifesté, dès les premiers mois de sa prise de fonction à la tête de l’Etat, sa volonté de travailler main dans la main avec tous les partenaires sociaux pour le succès de son premier mandat. Cette profession de foi est-elle toujours d’actualité ? Quand on voit la multiplication des fronts de revendications corporatistes qui donnent lieu à des grèves depuis l’année dernière, l’on est en droit d’en douter. Pour Dr. Souley Adji, cette posture du régime constitue la preuve qu’il n’a aucune volonté de s’occuper des questions sociales. Il a misé sur les rencontres de concertation pour penser que cela suffisait pour endormir longtemps les partenaires. La mayonnaise n’a malheureusement pas pris !
L’Enquêteur : Après l’Intersyndicale des travailleurs du Niger (ITN) élargie aux centrales syndicales non représentatives, puis le Collectif des syndicats des commerçants importateurs-exportateurs et grossistes du Niger, c’est au tour du syndicat autonome des agents des douanes (SNAD) de déterrer la hache de guerre contre le gouvernement du président Bazoum pour des revendications corporatistes. Comment analysez-vous cette multiplication des fronts de contestation sociale ?
Dr. Souley Adji : À chaque secteur, ses problèmes évidemment ! La multiplication de ces fronts de luttes et la diversité des acteurs indiquent sans doute que le moment est venu de croiser le fer avec les autorités, le gouvernement ayant assez eu du temps pour trouver dans la sérénité, des réponses fortes aux divers dossiers pendants des syndicats. Face à l’inertie du gouvernement, la patience de ces acteurs semble avoir trouvé ses limites. On peut donc dire que l’état de grâce dont a jusque-là bénéficié le Président et son gouvernement tire à sa fin et qu’une nouvelle période s’ouvre pour lui. Peut-être, assisterons-nous dorénavant à une levée de boucliers des forces vives, notamment des travailleurs, voire à une surenchère de velléités revendicatives dans certains secteurs de l’administration et de la société civile. Car, il semble bien que les acteurs insatisfaits de leur statut ne perdent pas espoir de faire rendre gorge au gouvernement, peu importe le temps que cela prendra. Prenez les concours contestés de la douane par exemple ! Cela fait banalement quatre ans que le SNAD souligne les nombreuses irrégularités et la tentation népotique du pouvoir, qui tient à les valider pour positionner les proches parents. Lesquels admis ont déposé plainte contre le SNAD auprès du Procureur, a-t-on appris. Mais à vrai dire, le SNAD, tout comme toute autre structure citoyenne, aurait grandement raison de dénoncer le caractère subjectif et fallacieux d’un concours pour produire des cadres compétents, méritants et dignes, ayant passé les épreuves sans irrégularités aucunes, car il y va de la qualité, de l’efficience et de l’efficacité de notre administration. À ce titre, le ministère de tutelle devrait faire front commun avec ce syndicat pour combattre toutes les dérives liées à la sélection des cadres de la douane. Surtout, à cette époque, où certains concours administratifs sont l’objet d’interventionnisme politique, de passe-droits et de rupture d’égalité des candidats.
Alors qu’il a promis d’instaurer un cadre de dialogue permanent avec l’ensemble des partenaires sociaux qu’il a successivement rencontrés dès l’entame de son mandat, l’on constate que le président Bazoum et son gouvernement affichent aujourd’hui une indifférence face à la levée de boucliers tous azimuts sur le front social. Qu’est-ce qui pourrait expliquer cette posture surprenante du régime ?
Il peut sembler que le pouvoir ne rencontre pas de véritable résistance, le contraignant à octroyer leurs droits aux différents groupes revendicatifs. Aussi, se croit-il dans une posture confortable pour dénier leurs droits aux syndicats et aux citoyens. La première stratégie d’endormissement des travailleurs a précisément été l’annonce de ce cadre de dialogue, au tout début du mandat présidentiel. Cela avait suffi à faire bercer d’illusions nombre de groupes institutionnels, séduits qu’ils étaient par cette démarche inédite, totalement absente sous le régime antérieur. Puis, rien de nouveau sous le soleil sahélien. Le Président ne sut pas joindre l’acte à la parole, au point où il ne tint point les promesses de résolution des doléances, notamment syndicales. Une certaine indifférence même commença à caractériser la gouvernance comme si refuser d’affronter les problèmes sociaux était la seule issue possible. Or, la politique de l’autruche n’a jamais rien solutionné. Il s’agit donc d’une constante fuite en avant, le gouvernement n’ayant ni la volonté politique ni la pression des groupes organisés pour réagir. Il s’ensuit évidemment que seules des actions de mobilisation et de démonstration de force pourraient contraindre les autorités à s’occuper réellement des questions sociales et institutionnelles.
Cette indifférence du gouvernement vis-à-vis des doléances des partenaires sociaux est porteuse de quel genre de menace pour le régime de Bazoum Mohamed ?
Comme naguère au Niger, un régime qui se moque des préoccupations sociales des citoyens risque toujours la bérézina. L’indifférence continue n’a pour effet que d’accroître les rancœurs et les frustrations sociales, au point de contribuer à discréditer graduellement le régime et ses dirigeants. Surtout, l’implication des forces conscientes, organisées dans le processus de conquête des droits risque fort d’instaurer un climat de tension perpétuel, susceptible de délégitimer le pouvoir et donc de le rendre davantage vulnérable à toutes sortes de soubresauts. D’où l’importance du dialogue social, qui, en démocratie, adoucit les mœurs.
Propos recueillis par I. Seyni